Déjà 20 ans que le quintet de Brooklyn The National creuse son sillon folk-rock reconnaissable entre tous et jamais une faute de goût en huit albums. Le tout dernier né I’m Easy to Find sorti en mai 2019 fut salué par la critique internationale, le présentant comme une oeuvre incontournable et un aboutissement mérité. C’est au sortir de cet opus qu’est née l’idée d’une aventure solo pour le frontman du groupe Matt Berninger. L’album Serpentine Prison sorti en octobre en est le fruit.
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Un projet solo prend naissance pour Matt Berninger
Sa discrétion et sa volonté d’une oeuvre plus collective étaient apparues assez évidentes sur ce dernier album du groupe, de nombreux guests avaient de ce fait apporté leur voix pour épouser le timbre baryton du leader. L’écriture solo a pris un temps certain car le chanteur de Brooklyn déborde d’activités et collaborations de tous ordres. Il a ainsi lancé au printemps sur You Tube Live un rendez-vous hebdomadaire « An exciting communal event » pour une série de concerts en soutien à la team de tournée du groupe mise hors jeu pour cause de pandémie mondiale.
Matt Berninger a repris la plume pour finaliser son projet solo et c’est en quinze jours seulement qu’il accouche d’une oeuvre musicale touchante et profonde : Serpentine Prison. Le génial multi-instrumentiste et producteur de musique soul Booker T. Jones vient aussi prêter main forte à Berninger.
Serpentine Prison, 10 morceaux emplis de douceur
C’est peu dire que cette création était scrutée par les fans et la critique en général. Combien de leaders rocks sont en effet tombés face à l’aventure solo car trop éloignée de la ligne déjà tracée ou à l’inverse livrant une pale copie de la tendance collective ? Et le mystère Matt Berninger apparait bien là puisque les 10 titres présentées ce mois-ci restent somme toute assez proches de la ligne folk des débuts de The National et pourtant tout fonctionne comme une très belle découverte musicale.
Tout s’explique simplement en deux mots : épure et grâce. Matt Berninger a mis sa voix au centre de l’exercice et s’est détaché de toute orchestration superflue. L’homme peut se permettre ce pari osé quand on sait l’organe hors du commun qui le caractérise, une voix apaisante qui vous pénètre au coeur dès les premières syllabes. Ses compos sont à la fois dépouillées et chaleureuses. Il y évoque les hauts et les bas du sentiment amoureux, amour perdu et retrouvé, espoir et spleen conjugués…
Serpentine Prison ne contient aucune surcharge orchestrale, chaque instrument vient au moment juste seconder la voix de Matt Berninger. Quand The National se démarquait par ses percussions syncopées, l’opus solo les rend discrètes à souhait avec une batterie brossée ou hyper délicate. Les guitares arpégées, le piano et l’orgue sont toujours de savoureux instants instrumentaux laissant respirer le souffle délicat du chanteur.
“Des chansons d’amour classiques, simples et désespérées“
L’ensemble apparait comme un folk limpide d’une sobriété très touchante, on entre un peu dans le journal intime de Matt qui lui-même entre dans la tête de quelqu’un. Parlant du magnifique One More Second il glisse à un journaliste :
« J’ai juste voulu écrire une de ces chansons d’amour classiques, simples et désespérées qui sonnent bien dans votre voiture »
Matt Berninger
Et il est vrai qu’au volant ou même lové dans son sofa, on est à la fois touché par tant de lyrisme et empli de joie devant cette beauté mélancolique. D’autres morceaux comme All For Nothing and Collar of Your Shirt s’illustrent par quelques lignes de cuivres et violons donnant à l’ensemble une grâce et une chaleur envoutantes.
La pochette de Serpentine Prison, Matt Berninger en peinture
La pochette de Serpentine Prison réalisée par le peintre américain Michael Carson est aussi un bel écrin donnant déjà les clés de l’oeuvre. On y voit Matt Berninger lui-même, assis sur une chaise, les jambes croisées, pas de chaussettes au pied, le tout dans un décor dépouillé. L’image est aussi sobre qu’un tableau de Toulouse-Lautrec, réaliste, sans teinte lumineuse.
Cette oeuvre est touchante de simplicité, le presque quinquagénaire se pose ici sans fard en dandy mélancolique. Matt Berninger s’apparente à ses mentors Nick Cave, Leonard Cohen et Tom Waits qui tracent leur ligne imperturbablement sans se soucier des vents porteurs…