De Brigitte Fontaine à Led Zeppelin en passant par The Doors, Creedence Clearwater Revival et les Guns N’ Roses, petite sélection de chansons sous la pluie. Histoire de se dire que c’est finalement pas si mal, en attendant ce soleil de l’été qui peine à percer les nuages.
Petite description de chacun des morceaux de la playlist un peu plus bas… Bonne égoutte.
Il pleut une petite pluie dure comme du sang, dans ma chambre, sur les carreaux. Qui l’arrêtera ? Les surfeurs de l’orage ?
Brigitte Fontaine – “Il pleut”
“Il pleut, c’est tout ce qu’il sait faire”. Voilà comment débute l’album de l’inimitable Brigitte Fontaine (notons la production toujours exemplaire de Jean-Claude Vannier). S’ensuit une série de litanies déclamées dans sa voix blasée, mi-parlée mi-chantée. Et puis, au fond, c’est qui cet enfoiré de “il” qui n’arrête pas de pleuvoir ?
Bob Dylan – “A Hard Rain’s a-Gonna Fall”
Les récits de déluge inondent (lol) nos différents mythes, de l’épopée de Gilgamesh au livre de la Genèse. Les fortes pluies prennent donc d’aventure une connotation apocalyptique. Aucun autre chanteur n’a mieux exploré ce thème que Bob Dylan dans sa magistrale “A Hard Rain’s a-Gonna Fall”. Si certaines chansons de Dylan sont plutôt obscures (“Visions of Joanna”, “Sad-Eyed Lady of the Lowlands” pour ne citer qu’elles), quand il a envie de faire simple et puissant eh bien c’est puissant. Dans la plus pure tradition romantique du poète “voyant”, il sillonne le monde en notant toute la misère qui l’habite, de l’enfant-soldat à la femme brûlée en passant par l’amant trahi, et prophétise l’arrivée de la grande pluie qui un jour lavera tout ça. Mais en attendant, “I’m a-goin’ back out ‘fore the rain starts a-fallin’ / […] And I’ll tell it and think it and speak it and breathe it / And reflect it from the mountain so all souls can see it / Then I’ll stand on the ocean until I start sinkin'”.
Jacques Brel – “Il pleut (Les Carreaux)”
Il y a peut-être un seul endroit où il pleut plus qu’en Bretagne, c’est la Belgique (bon, en ce moment c’est ni l’une ni l’autre, je vous l’accorde). Il est donc naturel que la pluie habite l’œuvre du plus éminents des Belges, à savoir Stromae Jacques Brel, que ce soit à travers les “chemins de pluie pour unique bonsoir” de son “Plat pays” aux précipitations qui empêchent l’aspirant séducteur de “Knokke-Le-Zoute Tango” d’embrasser ses “Andalouses mi-onduleuses”. Même réfugié aux Marquises, elle continuera à le suivre, “traversière”, et battant “de grain en grain”.
“Il pleut” est d’ailleurs plus autobiographique qu’elle n’en a l’air, car avant de devenir chanteur, Jacques Brel travaillait dans la cartonnerie familiale. Comme on le devine en l’entendant parler des “corridors crasseux” et des “escaliers qui montent” , ce n’était pas vraiment son truc, le travail en usine, et heureusement pour nous il a réussi à s’en extirper.
The Doors – “Riders on the Storm”
Le bruit de la pluie vient lui-meme s’incorporer à la musique d’une chanson qui, une fois n’est pas coutume, a suscité des discussions plus intéressantes sur ses paroles que les paroles elles-même, car apparemment “Into this world we’re thrown / Like a dog without a bone” fait référence au concept de “être-jeté”, ou “jèteté” (jettation ? non ? ok) de ce bon vieux Heidegger. Sinon peut-être que Jim Morrison dit juste qu’on est jeté dans le monde quoi, finalement.
“Il pleut sur Nantes”. Pléonasme diront certains, pour cette chanson à la fois bouleversante et qui sait ménager son suspense, le “il” n’étant révélé qu’à la fin. Si aujourd’hui on connaît les abus qu’a subi Barbara de la part de son père dans son enfance, ceux-ci n’ont été révélés dans ses mémoires que trente ans après la parution cette chanson. Il est donc troublant, en se plaçant du point de vue de l’auditeur qui la découvrait en 1964, de voir que tout qui a dû être caché, car l’inceste n’y figure même pas entre les lignes.
Charles Trenet – “Il pleut dans ma chambre”
Oui, d’habitude il pleut en septembre, ce qui rend les inondations de mai encore plus mal venues. Mais imaginez que ce tip tap incessant est une chanson, peut-être que ça rendra la pluie plus supportable. Et puis n’oublions pas, avec la pluie viennent les champignons, miam mioum.
Creedence Clearwater Revival – “Who’ll Stop The Rain”
Nombreux sont ceux qui ont vu dans la pluie une métaphore des bombes au Vietnam, mais je me méfie beaucoup de ce genre d’interprétations “à clef” qui se contentent de dire “ceci, c’est cela”, et en restent là (notons que les mêmes assurent que la pluie dans “Have You Ever Seen The Rain?” est aussi une métaphore des bombes). Je pense que la chanson doit être interprétée à la lumière du contexte tumultueux de l’époque, et que la pluie prend bien une dimension métaphorique, mais elle ne parle pas du Vietnam. Si on regarde la chanson de près, on note que John Fogerty définit la pluie comme des “Clouds of mystery pourin’ confusion on the ground”. Plus loin, les seules références explicites sont aux plans quinquennaux et au New Deal, ces politiques gouvernementales qui chacune ont essayé d’améliorer la vie des populations à coups de promesses “wrapped in golden chains”, mais “Still the rain kept pourin’, fallin’ on my ears”. En mettant sur un pied d’égalité la politique soviétique et la politique américaine, Fogerty semble vouloir montrer que ces deux Etats que tout oppose se ressemblent finalement plus qu’ils ne voudraient se l’avouer.
Sacha Distel – “Toute la pluie tombe sur moi”
Grand guitariste de jazz, Sacha Distel est aussi l’auteur de sublimes chansons françaises, avec ce style cool jazz qui le caractérise. Avec la version britannique de “Toute la pluie tombe sur moi” (Raindrops Keep Falling on My Head), il réalise la prouesse de rester 30 semaines en tête des charts britanniques… mais aussi celle d’inculquer les paroles de cette chanson dans nos têtes. Et à la moindre goutte qui tombe du ciel, ces paroles surgissent comme par enchantement dans l’esprit de milliers de gens.
Guns N’ Roses – “November Rain”
Dans le style power ballad, difficile de faire mieux que Guns N’ Roses, qui sont parfois des êtres sensibles, mais puissamment sensibles. Il vaut mieux ne pas abstraire les paroles (d’une grande platitude avouons-le) et se laisser bercer par le clip kitschissime (cette robe grands dieux), l’orchestration dévastatrice d’Axl Rose et les méga-solos de Slash qui déchirent le désert (il a sans doute fallu un gros ventilateur pour faire tout ce vent). On lui pardonne même d’avoir oublié les alliances (franchement bravo). Ah et elle meurt à la fin c’est triste quand même.
Led Zeppelin – “The Rain Song”
Ceux qui ont essayé de jouer cette chanson à la guitare auront remarqué l’accordage franchement curieux de Jimmy Page. Mais quand on entend les sonorités complexes et envoûtantes qui en sortent, on comprend mieux. L’usage du Mellotron renforce cette atmosphère étrange et quasi-mystique, où passent les humeurs reflètent les saisons.
Après Bob Dylan, c’est au tour de Slayer. Batterie qui gronde, guitares qui tempêtent, et le râle pas content d’un type qui, selon les mots de Jeff Hanneman, “is in Purgatory ’cause he was cast out of Heaven. He’s waiting for revenge and wants to fuck that place up.” Et le sang des anges coulera à flots YEEAAHHHH !!!
Quand on écoute les merveilles bizarroïdes de Bone Machine, on est presque étonné de tomber sur cette sympathique ballade. Enfin, une sympathique ballade peuplée de guitaristes avec des doigts qui manquent et de filles de quinze ans qui rentrent dans une camionnette avec un inconnu. Le narrateur, lui, est plutôt insouciant. Oui, il pleut, oui, bon, le plafons s’effondre, d’accord, mais “a little trouble makes it worth the going”.