En cette année 1986, le quatuor anglais Talk Talk tourne le dos aux compositions ‘tubesques‘ pour creuser avec Colour of Spring un long sillon expérimental qui le poussera peu après vers des sonorités ambient jazz.
Talk Talk, d’abord des synthés froids, puis une machine à tubes
Ah les années 80 ! Combien de déchets a t-on pu retrouver dans nos cartons de vinyles et autres cassettes ? Ce son a parfois mal vieilli pour quelques formations issues de la new wave. Rappelons-nous ces synthés froids copiés et resservis par l’essentiel des formations anglaises en cette période post punk. Talk Talk est né dans la mouvance de ce nouveau son et son premier album The Party’s Over nous replonge illico dans cet univers suranné.
Puis la machine à tubes s’emballe pour nos amis anglais et le succès ne tarde pas en cette année 84 : It’s My Life et Such a Shame sont encore dans toutes les têtes des amateurs de nouvelle vague 80s. Tous, critiques et fans attendaient donc Mark Hollis et sa bande sur leur troisième album (The Colour of Spring).
Mais la couleur du printemps prend en fait une autre signification. Le printemps devient ici la métamorphose. Hollis refuse d’être un groupe à tubes, ses ambitions sont autres, il vise l’intemporel, son énergie créatrice est sans limites. Et donc en 1986 naît un album sublime, complexe et épuré à la fois. Et cela annonce déjà le virage expérimental qui s’affirmera véritablement sur l’opus suivant Spirit of Eden.
The Colour of Spring, le mariage entre new wave et orchestration plus classique
Mais revenons à ce Colour of Spring. Le talent de Mark Hollis résulte de la réconciliation entre pop new wave et composition exigeante, soignée et raffinée. Sa voix atteint des sommets de beauté. Qui d’autres offre de telles vocalises en forme de longues plaintes nasales propres à vous mettre à genoux. Une fragilité émane de son organe inimitable, une voix quasi céleste…
Musicalement, le tournant est radical. Finis les synthés froids et la batterie électronique. On revient à une orchestration classique : le piano est savamment introduit, guitare et basse sont privilégiées, le saxo fait son apparition et des choeurs viennent compléter une instrumentation déjà riche..
Dès le morceau introductif Happiness Is Easy, on voit le virage opéré. Chaque instrument est à sa place et apporte sa touche essentielle. L’orchestration se construit par touche successive. Hollis reste toutefois attaché aux belles mélodies. Life’s What You Make It et Living In Another World sont deux titres propices à réconcilier aficionados et amateurs de sons plus expérimentaux, presque une matrice de pop moderne…
Et la basse de Paul Webb ! L’instrument dont personne ne parle sauf quand Simon Gallup, Mike Mills ou Andy Rourke s’emparent de ces quatre cordes. Paul Webb est de cette trempe. Savourez le tapis de graves qu’il diffuse sur des morceaux comme I Don’t Believe in You et Give It Up.
Un instant de grâce intemporel
Enfin deux titres nous projettent vers l’épure recherchée par Hollis, Chameleon Day et April 5th. Ces deux plages sont comme des sas où tout semble en pause, un instant de grâce pour simplement savourer la force créatrice de l’ensemble.
The Colour of Spring procure un sentiment d’intemporalité. Hollis nous emmène en lévitation. Le disque se termine par le somptueux Time Is Time. Le silence s’installe et nait alors en nous une envie d’y revenir. On écoute encore le beau silence et les couleurs du Printemps nous appellent à nouveau. Alors on souhaite juste remettre le disque sur la platine et replonger vers ces belles couleurs printanières…