Alt-J est de retour avec The Dream. Quand l’industrie musicale pousse les artistes à toujours plus de création et surtout davantage de productions bankable, il en est certains qui cultivent l’usage de la lenteur pour reprendre l’expression du sociologue P. Sansot. Et de fait, elle leur sied à merveille cette lenteur aux inimitables Loiners (citoyens de Leeds). C’est juste remarquable et louable d’être ainsi à contre-courant de l’époque actuelle qui tend vers le toujours plus…
Il leur a donc fallu cinq années pour accoucher de cette oeuvre majeure qu’est The Dream. Alors comme toujours, on ne rentre pas dans un nouvel album d’Alt-J en faisant mille autres choses, il faut le rencontrer, le savourer avec lenteur et surtout être pleinement avec lui…
Alt-J continue son exploration folktronika
Petit rappel pour les non initiés : le trio britannique composé du claviériste Gus Unger-Hamilton, du batteur Thom Sonny-Green et du chanteur-guitariste Joe Newman a déboulé sur la scène rock il y a dix ans. En 2012, ils mettaient tout le monde à genoux avec le surprenant et génial An Awesome Wave, récompensé au prestigieux Mercury Prize. On parle alors de musique folktronica, de compos éclectiques, novatrices et exigeantes à l’oreille non avertie.
Depuis, tout le monde attend avec excitation chaque nouvel opus du trio Alt-J. Et souvent, la communauté rock critic se divise entre ceux qui se délectent de ces esprits inventifs et les autres qui tapent fort en disant que l’expérience de la première mouture ne se reproduit pas et qu’Alt-J se perd dans une diversité musicale impalpable.
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Alt-J, un groupe inclassable
Et je pense que tout se joue là pour appréhender la musique d’Alt-J. Sommes-nous prêts au lâcher-prise en écoutant leurs sons sans chercher à cataloguer ces artistes et leur création ?
Les Anglais ne veulent pas être mis dans des cases et encore moins tamponnés avec une étiquette musicale. Pour preuve ce nouvel album d’Alt-J est assez inclassable puisque fait de ruptures et d’identités multiples. A part dans le classique, peu osent à ce point ces changements de rythme inopinés. Un ami musicien me disait à quel point il est déstabilisant de jouer du Alt-J du fait de ces ruptures déroutantes dans les compositions. En parallèle, je pense à l’ingéniosité musicale du rappeur RZA et son collectif Wu-Tang qui pratiquent aussi avec classe et dextérité ce sens de la transition cut au sein d’un même morceau.
The Dream, aussi déroutant et pourtant révélateur qu’un rêve
Alors regardons ça de plus près pour notre trio anglais ! Le tout est cohérent et savamment orchestré, on navigue comme à l’accoutumée entre folk et électro avec de belles harmonies vocales mais plus encore cette fois. On peut parler d’identités musicales, il ne faut pas chercher une direction franche et marquée. Les deux premiers singles étaient du Alt-J pur jus et dans la lignée parfaite des précédents titres phares. U&Me s’illustre ainsi par des percussions marquées et de géniaux riffs de guitare en son milieu. Quant à Hard Drive Gold, on part sur un morceau presque groovy nappé de franges psychédéliques, une vraie invitation à danser…
Plus déroutant mais non moins jouissif, Chicago démarre sur des notes folk et verse sans prévenir en sonorités dance-floor sur fond de beats puissants. L’impeccable Philadelphia s’ouvre avec une voix de cantatrice et glisse délicatement en opéra pop grandiose. Je recommande ce morceau addictif à qui veut entrer en douceur dans l’univers d’Alt-J. Tout l’art créatif du trio est dans ce voyage parfois insaisissable mais ô combien palpitant.
Alt-J c’est une écriture souvent sombre
Et si l’on veut chercher du coté des textes, le phénomène Alt-J a aussi de quoi dérouter.
Les textes sont cette fois encore plus sombres que les compositions musicales. Joe Newman précise que cet album fut éprouvant, déjà marqué par la pandémie et retraçant aussi des événements douloureux arrivés à certains d’entre eux.
Ainsi la chanson Losing My Mind évoque l’histoire d’un serial killer, inspiré du meurtre de la soeur d’une amie du frontman.
Get Better est tout aussi triste. Les arrangements sont nus afin de connecter le plus possible avec les paroles touchantes, qui évoquent la sensation d’absence après le départ d’un être cher, que l’on continue de voir partout.
Ensuite, on trouve des histoires d’Hollywood, et plus cocasse encore, l’aventure d’un trader trafiquant des crypto-monnaies… Tout Alt-J se résume ainsi, dans la diversité, l’éclectisme et l’inattendu, toujours en exploration et en expérimentation.
Donc à ceux qui décrètent que nos anglais ne savent pas où se situer, je voudrais dire en substance que justement tout se situe là et bien là !