Il est un homme dont on parle peu mais dont la réminiscence devrait s’imposer lorsque l’on parle de la beat generation, ce mouvement littéraire et artistique né au tournant des années 1950 autour de plusieurs personnalités emblématiques du monde littéraire, en quête de libération sexuelle et des modes de vie, avide des grands espaces, de liberté tout court. Faisant preuve d’une inventivité débridée, ces jeunes auteurs rebattent les cartes en repartant à zéro, en faisant leur l’écriture surréaliste et impulsive.
En jouant de rythmes variés et de nuances, tout comme Kerouac se jouait des structures classiques des phrases, Chet Baker s’insère parfaitement dans cette période de créativité débordante. Trompettiste de génie, dont le chef-d’oeuvre Chet est sorti la même année que Le Festin nu de William Burroughs, le natif de l’Oklahoma n’est pourtant pas un des musiciens jazz importants de la beat generation pour cette raison principale.
Chet Baker est en effet bien plus qu’un trompettiste et joueur de bugle. Avec ses airs de James Dean, c’est un pur beau gosse, avec cet air d’être au-delà des vicissitudes de l’existence, cet air de celui qui aurait du n’être que fureur de vivre, liberté… Mais force est de constater que son jeu est plutôt d’une sensibilité hors du commun, d’une grande pudeur. Les flots ne s’animent jamais en un grand tsunami, mais se déroulent plutôt dans une douceur arythmique et dont les directions sont souvent inattendues, toujours surprenantes.
Quand Chet Baker ne se dissimule pas derrière l’embouchure de son instrument, il révèle une voix de crooner d’une qualité exceptionnelle, le distinguant en elle-même de ses comparses de la même époque.
Une expression plus qu’un emblème
Mais c’est sans doute lorsque Chet Baker allie ses deux forces égales que la lumière surgit le plus intensément. Cet homme mal à l’aise avec les partitions, n’ayant pas fait de son chant une priorité, se trouve à jouer à la quasi-perfection de deux instruments capricieux. Comment parfaire cette voix d’ange, androgyne et libre ? Comment vouloir changer ce jeu si doux et unique ?
Incarnant la liberté véhiculée par la beat generation, celle de jouer et chanter sans théorie, celle de s’abstraire du préconçu et du support traditionnel, celle qui est propre à toutes les personnes sublimes, celle aussi de se contraindre, tant dans son jeu tout en pudeur que son chant doux, Chet Baker a marqué le jazz de son empreinte. Son nom n’est pas forcément celui que l’on retient en premier quand on parle de beat generation et jazz, et cela convient à l’idée que l’on peut se faire de lui. Car Chet Baker est moins l’emblème d’une génération qu’une de ses expressions les plus pures, dans toutes ses dimensions.
Miné par la drogue, Chet Baker, sa voix d’ange et son souffle géniale succomberont d’une overdose, comme si la créature parfaite avait voulu montrer ses imperfections par sa chute, et conclure d’un point flou le rythme libéré des contraintes de son existence.
Chaque mardi, retrouve un morceau rétro* sélectionné avec soin, décortiqué et partagé sur Indeflagration pour le délice de vos oreilles en quête de souvenir ou de fuite du temps présent. Tout cela afin de tenter de fusionner les époques par la musique.
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* le mot sexy pour « vieux »