Le cerveau humain est fascinant. Il suffit parfois d’un morceau, du réveil simultané de quelques synapses ou d’un pétillement impromptu pour faire le lien entre des mélodies que rien ne prédestinaient à se rencontrer.
Pour ce rapprochement précis, seules quelques secondes de Say Yes de Elliott Smith auront été nécessaires. Malgré l’opposition apparente des titres – “dis oui” et “va-t-en”, difficile de faire plus schizo -, les 2 morceaux de ce parallèle flagrant ont en effet énormément en commun. Ce riff de guitare tellement similaire et entêtant, cette manière de poser les mots, ces paroles parlant de rupture amoureuse… On les avait aussi entendus dans Walk Away de Ben Harper.
Pourtant, ces deux morceaux n’ont rien du plagiat l’un de l’autre, ni de l’hommage (du moins à notre connaissance). Ils coexistent et ne se parleront jamais qu’en écho, bien qu’il soit si savoureux de les écouter l’un après l’autre.
Say Yes de Elliott Smith (1997)
3 petites années les séparent. Bien que Walk Away (1994) précède Say Yes (1997), c’est ce dernier qui a fait naître chez nous cette petite flamme d’excitation parallélistique (“mais… mais ce riff c’est Walk Away !”).
Piste finale de Either/Or, 3e album d’Elliott Smith, Say Yes est sans doute l’une des plus belles ballades du songwriter américain, encore underground à cette époque. Miss Misery, écrite pour Will Hunting, n’a en effet pas encore été nommée à l’Oscar de la meilleure chanson originale. Seul un riff simple mais marquant retentit tout le long du morceau, tandis que les mots s’écoulent avec une poésie rare, accompagnant la mélodie de cette manière unique qui caractérise la musique d’Elliott Smith.
“I’m in love with the world through the eyes of a girl / Who’s still around the morning after”
Tant d’interprétations possibles des paroles qu’il est compliqué d’en choisir une plus plausible que les autres. Smith semble parler d’une relation lui ayant procurée une joie sincère, à laquelle a succédé rapidement la déception fulgurante du rejet. Un rejet dont le protagoniste ne pensait pas se remettre dès le lendemain matin. Un rejet qu’il relativise, constatant qu’il ne peut après tout rien y faire (“She’ll decide what she wants / I’ll probably be the last to know”).
“I could be another fool or an exception to the rule”
Pourquoi ne pas se relever tout de suite ? Pourquoi attendre et faire comme tous ces autres imbéciles tentant de provoquer le destin ? Après tout, les choses ne finissent-elles pas toujours par tourner tôt ou tard, quelle qu’en soit la manière ? (“Situations get fucked up and turned around sooner or later”).
Le thème de la rupture est abordé par Elliott Smith de manière originale et introspective. Les sentiments éprouvés sont simples et sincères mais non moins profonds en ce qu’ils s’inscrivent au-delà les clichés. L’auditeur devient confesseur et ainsi miroir des pensées intimes de l’interprète, qui se met totalement à nu. Et c’est sans doute ce qui crée cette émotion indescriptible à l’écoute de Say Yes.
Walk Away de Ben Harper (1994)
C’est bien le riff de guitare qui a initié le parallèle, mais les points communs affluent en nombre. À commencer par cette atmosphère toute aussi intime et épurée, seulement formée par la voix posée de Ben Harper et sa guitare acoustique.
“So many people, to love in my life. Why do I have to worry about one”
Mais le thème de la rupture émerge également, ce que suggère d’ailleurs immédiatement le titre de ce morceau phare de Welcome to The Cruel World, 2e opus de Ben Harper qui l’a révélé au monde en 1994. On décèle également cette approche introspective, cette réflexion sur soi-même sans se soucier de ce que l’auditeur jugera de l’artiste. Peu d’hommes sont capables d’exposer au monde leurs ruptures subies, la plupart tentant plutôt de les cacher, pour garder la face face à l’abandon.
Ben Harper aborde en effet dans Walk Away non la difficulté de quitter quelqu’un, mais cette bataille interne entre laisser la personne que l’on aime vivre sa vie et s’y accrocher désespérément. Ce que dit le coeur et ce que suggère la raison (représentée par they).
“They say if you love somebody
Then you have got to set them free
But I would rather be locked to you
Than live in this pain and misery (…)
But sometimes
Sometimes you just have to walk away”
Un écho insoupçonné et magique
Nous avons vérifié sur Google et rien ne suggère une quelconque prise d’inspiration volontaire dans Say Yes ou Walk Away de la part de Ben Harper ou Elliott Smith. Le hasard a fait que 2 morceaux iconiques de 2 artistes emblématiques aux sensibilités différentes se ressemblent étrangement, semblent se parler, se répondre, se mêler. Le fait que Harper et Smith soient tous deux nés la même année (1969) paraît un détail complètement futile à côté de cette étonnante communication entre les deux morceaux. Se sont-ils déjà rencontrés ? Ont-ils partagé leurs expériences, leurs pensées ? Difficile à déterminer.
On peut néanmoins affirmer, et ce sans le moindre doute, que Say Yes et Walk Away forment un parallèle flagrant.