Antoine Valentinelli alias Lomepal est peut-être la plus belle plume du rap français actuel. Son troisième album Mauvais Ordre sorti il y a 2 semaines environ était particulièrement attendu par son public, bien au-delà de la communauté rap. Lomepal ne reste pas seulement dans ses cases d’origine.
On le pressentait déjà avec son précédent opus Jeannine. Lompal y cherchait sa voie créative en osant les ponts entre rock, rap et chanson française. Et c’est un pari gagné car on a devant nous un objet musical parfaitement équilibré entre prose subtile, mélodies racées et épure d’une grande élégance.
Les quatre ans d’absence ont été plus que nécessaires pour Antoine V. Au tout début, il y eut la révélation avec Flip son premier album et puis la consécration avec Jeannine, lui permettant même de toucher un large public. Oui mais voilà, le succès est parfois déroutant et même déstabilisant pour un hyper-sensible de la sorte…
Lomepal passe des confessions intimes à la fiction
L’histoire de Mauvais Ordre commence par un “break” loin du bruit, des sollicitations et hors des réseaux sociaux. Lomepal se met au vert et s’entoure uniquement de proches en se projetant doucement et lentement vers l’après.
Lui le rappeur veut toucher à de nouvelles formes, sortir de son moi et de l’auto-dépréciation, revenir à l’essentiel, s’approprier des instruments acoustiques… Un vrai inventaire à la Prévert en somme. Et petit à petit, avec juste un pas à la fois, l’écriture se fait désirer à nouveau.
Finies les confessions personnelles, la mise à nu pour prendre le chemin de la fiction. Lomepal décide alors de construire un personnage en marge, trop sensible pour ce monde moderne mais amoureux et prêt à saisir la vie à peine dents si une éclaircie se présente. Lomepal n’est bien entendu jamais loin de son personnage, vous l’aurez aisément capté.
La passion des beaux mots dans Mauvais Ordre
L’album s’offre à nous par touches successives, c’est un concept savamment établi par l’artiste avec des moments de vie en ordre dispersé. J’y vois presque un tableau impressionniste. Sauf qu’à la place de couleurs juxtaposées aboutissant à de nouvelles teintes, l’oeuvre narrative distille de petites virgules de vie qui nécessitent juste un peu de recul pour y voir un beau et touchant canevas.
Le tout est parsemé d’indices et empli de superbes références culturelles. Lomepal met ses pas dans ceux des premiers rappeurs français à l’aube des années 90, férus de poésie, à l’image de MC Solaar. Il y a aussi chez l’autre rappeur parisien l’amour des mots et une boulimie d’œuvres culturelles.
Mauvais Ordre est dans cette veine alignant d’éclatantes punchlines. J’y vois plutôt une hyper sensibilité aux mots et aux douces métaphores. Quelques exemples pour le plaisir :
- « Regarde-moi, j’suis venu au monde avec des chaines dans la tête, pourvu que je le quitte libre » (Etna)
- « J’ressemble tellement à ce monde, j’ai les névroses assorties » (Tee)
- En phrase introductive de l’album « Toujours bloqué dans la mauvaise zone, c’est ma faute, j’ai mis les bons mots dans le mauvais ordre, j’ai encore tout emmêlé, putain, ça avait tellement l’air simple dans ma tête » (Mauvais Ordre).
Des références anglo-américaines omniprésentes
Lomepal, c’est aussi la passion des cultures outre-Manche et outre-Atlantique, langue et civilisation confondues. Le vocabulaire est ainsi subtilement distillé, la langue de Shakespeare vient se frotter à merveille avec nos sonorités.
« J’répands une vibe noire dans un appart feng shui », « le sens de la vie part en fade out », « t’aurais dû faire un close-up, maintenant tu suces ‘vec du gloss sur la couverture de Closer ».
Il y a en outre une batterie de clin d’oeil à quelques belles signatures. Le personnage créé pour cet album est obnubilé par une histoire d’amour qui reste lettre morte. Le film Truman Show est évoqué ici explicitement, il y était question d’un homme prisonnier d’une émission télé et raide dingue d’une fille qui le fascinait.
Dans l’interlude Skit Il, on entend carrément le personnage raconter la mythique scène finale où l’acteur découpe un oeil, un nez et se fait sa femme parfaite avec des magazines. Et comme Lomepal n’est jamais loin de son personnage et en quête, la superbe pochette nous le montre minuscule et de dos regardant cette immense poster d’une femme pixelisée, sa compagne et actrice suisse Souheila Yacoub…
L’image du miel et l’antinomie du miel associé au vinaigre revient aussi de façon récurrente. « Y’a jamais assez de miel sur le msemen » (Tee) ou « J’sais bien que le miel n’existe que grâce au vinaigre » (Maladie moderne) et « Le miel c’est pas vraiment le miel sans le vinaigre, je plains ceux qui connaissent que le miel » (Le miel et le vinaigre).
J’y vois un hommage déguisé au romancier anglais Geoff Nicholson qui le premier affirmait dans un roman que le miel et le vinaigre restent toujours antithétiques et en perpétuelle confrontation.
Les mentors de Lomepal, Julian Casablancas et John Lennon
On connaissait déjà la passion de Lomepal pour le frontman des Strokes, Julian Casablancas. Cette fois encore, il avoue avoir recherché une écriture fine et percutante.
Il évoque aussi explicitement la chanson Strawberry Fields et son créateur John Lennon (Pour de faux). En marge de la chanson culte, le leader des Beatles évoquait avec émotion ce parc de Liverpool. Il y trouvait un apaisement et une forme de sérénité. Ce fut pour lui un lieu de ressourcement durant son enfance et en même temps un douloureux terrain de jeu lui rappelant la disparition de sa mère à l’aube de ses 18 ans.
Tout Lomepal est là ou tout du moins son personnage, pris entre envie de légèreté et mélancolie terrassante, soif de vie et auto-flagellation…
Le minimalisme musical comme symbole d’élégance dans Mauvais Ordre
Bien sûr Lomepal met sa voix, sa diction et sa prose au centre de son processus créatif. Mais ne faisons pas l’impasse sur la grande maîtrise musicale de ces quinze compositions. Le fidèle Pierrick Devin est à nouveau au coeur de la création et on ne peut qu’apprécier l’esthétique sonore de l’ensemble. Aucune surcharge, la note juste, la mélodie qui vous happe et une douce combinaison entre instruments acoustiques et combo basse-batterie.
Mauvais Ordre met véritablement le rappeur français Lomepal sur orbite. Il touche ici le graal. À lui maintenant de savourer avec un brin de sérénité le succès déjà annoncé. Que le déferlement d’ondes positives lui donne juste envie de poursuivre ce beau chemin en creusant toujours plus profond son sillon.
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