Il y a des albums qui marquent des années au fer rouge. Et d’autres qui font s’évaporer toute tentative d’établir un classement par l’étalage de leur classe. Skiptracing de Mild High Club est un de ceux-là
On peut nourrir des doutes sur les origines teutonnes d’Alexander Brettin, fondateur et leader de Mild High Club. Ce dont on peut certifier en revanche, c’est la dextérité dont ce musicien californien fait preuve quand il doit jongler avec le feu.
Doutes rapidement levés, riz, thé
Dès les première mesures du morceau-titre qui ouvre ce deuxième album de Mild High Club, on est tenté de se demander s’il s’agit d’une plaisanterie, et même si on n’a pas été placé à notre insu sur le plateau de “Surprise Sur Prise”. La faute à des sonorités ‘cheapissimes’ que n’auraient pas reniées les ingénieurs de Bontempi en leur temps. On y décèle toutefois un petit quelque chose, alors on va au bout.
Les premières notes du titre suivant Homeage nous replongent dans le doute et puis le binôme synthés-guitare, tout en glissandos onctueux, enlace subrepticement cette voix suave qui grimpe et monte jusqu’au décollage libérateur qui nous emporte, unilatéralement, irrémédiablement et à l’insu de notre plein gré.
La magie opère à Sion, et partout ailleurs
Le temps d’une pause avec la ballade suintante Cary Me Back digne de la BO d’un remake imaginaire de La Boum par Abel Ferrara période Bad Lieutenant, et on passe aux choses sérieuses. Le tubesque Tesselation n’a rien à envier aux meilleures productions d’Ariel Pink ou Mac Demarco, avec lequel il partage un gout prononcé pour les groove de batterie nonchalants, les claviers qui collent aux doigts et surtout un sens de la mélodie qui fait mouche (ils sont potes…comme par hasard).
L’écoute se poursuit et la magie opère toujours, voire se renforce par le biais d’une savante utilisation d’un background jazz évident (Head Out, Ceiling Zero) à des fins pop (le délicieux Kokopelli). Ce n’est pas sans rappeler Benny Sings ou encore Steely Dan. Pour terminer, notre homme se concède une dernière pause cocktail avec Chasing My Tail qui nous emmène en douceur sur le pas de Chapel Perilous, petit chef-d’oeuvre de finesse entêtante qui clôture l’album en laissant tout ébaubis.
https://www.youtube.com/watch?v=uetuPRiMXGU
Plaisir inexplicable, opérateur de sensations
En fait, on se retrouve à écouter ce disque de Mild High Club un peu comme on câlinerait un Bisounours fuchsia – oui, celui avec l’arc-en-ciel sur le bide – à 30 ans passés. Ça peut paraitre complètement débile à la base mais ça procure un plaisir inexplicable qui confine à l’inavouable.
Autant passer aux aveux : le tableau offert par cette étagère de mémé jonchée d’objets hétéroclites à l’aspect douteux exerce une fascination aussi fatale que pernicieuse. Le regard –ici l’oreille- réticent mais accroché, y revient avec insistance et finit par sombrer dans une contemplation toujours plus délicieuse à mesure qu’elle se prolonge.
Dévoiler la beauté qui sommeille dans la banalité n’est pas la moindre des qualités de Skiptracing, 2e disque vénéneux et faussement paresseux de Mild High Club. Finalement, son principal défaut est de ne durer que 30 minutes. On attend la suite, et vite.