Petit retour en arrière sur l’album de Pink Floyd The Final Cut
Un bruit de voiture suivi d’une fréquence radio diffusant ce qui peut s’apparenter à de sombres flashs infos… Et c’est parti pour un somptueux requiem pour le rêve de l’après guerre selon Roger Waters, frontman de Pink Floyd. Tel est le sous-titre de l’opus glissé au dos de la pochette du disque. Le ton est donné, on n’est pas là pour faire sourire ni danser !
Roger Waters entre seul dans l’arène…
Ce Final Cut se veut magistral, épique et même théâtral… Et c’est vrai que tout porte à la théâtralisation dans cet album : ambiances sonores, textes susurrés, envolées vocales et orchestration grandiloquente. Le tout est sorti du chapeau de Roger Waters, ce n’est donc en rien un album classique des Pink Floyd.
Le torchon brûle depuis un moment au sein de la formation anglaise. Le claviériste Rick Wright s’est fait lourdé il y a peu et les trois survivants ne s’entendent plus guère en cette année 1982. Quand Roger Waters présente son projet musical à ses compagnons de scène, c’est la douche froide ! Il est reproché à Waters d’avoir juste retravaillé quelques textes et repris des bandes sons inutilisées durant l’aventure The Wall, l’album précédent qui avait rencontré un franc succès.
Qu’importe, le leader impose son choix et entre en studio pour mener son rêve musical en quasi solo. Et de fait, David Gilmour et Nick Mason sont de la partie mais réduits a minima dans le jeu instrumental. David Gilmour ne chante quasiment pas, sauf sur Not Now John en accompagnement vocal. Michael Kamen, déjà présent aux claviers sur The Wall est rappelé pour seconder Roger Waters (chant, basse et guitare sèche).
Des critiques injustes et sévères pour The Final Cut de Pink Floyd
Pour couronner le tout, c’est un accueil glacial qui attend The Final Cut en 1983. Le critiques sont virulentes de chaque coté de l’Atlantique. Pas un chroniqueur y voit un album digne des Pink Floyd, juste un projet mégalo mettant en avant l’égo sur-dimensionné du chanteur anglais. Seul le magazine Rolling Stone parle tout de même d’un album « art-rock » proche de l’univers dylanien…
Pour ma part, cette partition rock m’accompagne depuis mes années lycée et je tiens vivement à la réhabiliter ici. C’est une oeuvre poignante, sincère et militante. Roger Waters atteint des sommets de créativité, sa voix excelle et nous prend au corps.
Dès la première plage, sur The Post War Dream, on est happé. Le chant posé est juste troublant. Puis tout s’envole, l’orchestration s’enflamme, la voix devient un cri déchirant dans la nuit. Le combat anti-militariste prend toute sa dimension avec Your Possible Pasts. Et on alterne ensuite entre pure poésie, beauté fragile même et déferlement sonore, notamment sur Not Now John où l’on retrouve avec plaisir David Gilmour à la guitare . La chanson The Final Cut est carrément bouleversante avec le récit d’un soldat s’ouvrant les veines. Et The Gunner’s Dream est du même acabit. Le piano et le saxophone subliment la voix de Roger Waters dans cette déchirante complainte.
L’hommage de Roger Waters à son père
L’ensemble est bien sûr sombre car la rancoeur est grande, les espoirs déçus face à tous les dirigeants engagés dans des guerres. Brejnev en Afghanistan, Bégin au Liban et bien sûr Thatcher aux Malouines. Même si de nombreux anglais suivent la dame de fer sur cette démonstration de force en Argentine, bon nombre d’artistes dont Waters montrent les dents et s’engagent dans la lutte anti-impérialiste en mode protest-songs.
Mais derrière cet étendard, il y a une quête plus personnelle. Celle du père disparu, Eric Fletcher Waters. Le poète anglais veut ici rendre hommage à son soldat préféré, emporté comme tant d’autres jeunes l’année 1944 lors de l’opération Shingle en Italie. La pochette est le reflet de cette quête avec les rubans de médailles militaires et le coquelicot en papier, symbole des commémorations annuelles rendant hommage aux soldats chaque 11 novembre.
Il y a donc ces compositions engagées et enlevées comme un cri mais aussi des complaintes subtiles destinées au défunt père dans cet album des Pink Floyd. Et Roger Waters semble ici boucler la boucle avec cette « coupe finale » ou peut-être bien ce « résultat final » car les Pink Floyd produiront certes l’oeuvre ultime en 1987. Mais quelque chose est brisé et Waters souhaite marquer cette fois la fin d’une grande et belle épopée musicale…