Lorsque les rockeurs ont envie de parler de quelque chose de sérieux, c’est le plus souvent de l’ordre de l’intime : des histoires individuelles, l’angoisses, l’amour, et toutes sortes d’émotions subjectives. Quand ils s’aventurent sur le terrain glissant du “social”, ils parlent du présent, de leur présent. Dire Straits, dans leur magistrale Telegraph Road, racontent l’évolution d’une ville sur plusieurs décennies, de la cabine au milieu de nulle part à la grande construction urbaine avec ses usines, ses poteaux télégraphiques, et son chômage.
L’évolution de Telegraph Road, reflet du cours inexorable de l’Histoire
Telegraph Road commence avec une longue introduction qui pose le cadre : une étendue sauvage, sans trace de vie humaine donc sans chant. Puis surgit l’image idyllique du premier pionnier, qui pose son sac et installe sa baraque au milieu de la plaine. La chanson prend alors un tour plus rythmé avec l’arrivée des écoles, des lois, des avocats et de la longue ligne de poteaux télégraphiques qui donne à la chanson son titre, et qui permet de situer le temps aux alentours du début du tournant XIXe-XXe siècle.
Pendant que les hommes exploitent les mines environnantes, le télégraphe leur donne des nouvelles du monde, une “guerre” est mentionnée, et le caractère imprécis de cette référence renforce l’atmosphère cloisonnée de cette ville, soi-disant en contact avec le reste du monde mais dont on ne peut, paradoxalement, s’échapper. Contrairement aux oiseaux qui sillonnent les câbles. Il y a même une sorte de fatalité qui pèse dans le premier couplet, sur ces voyageurs qui ne purent ni aller plus loin ni revenir en arrière, comme si une force qui les dépassait les avaient obligés à s’installer en cet endroit précis.
Tandis que Mark Knopfler parle des embouteillages chaque soir, conséquence de la modernisation forcenée, la chanson est coupée court dans son élan et se gèle, elle aussi, dans un passage où seul figure le piano. S’ensuit un crescendo, avec encore un solo de guitare diabolique de précision, et on passe cette fois dans un domaine plus intime, où un parallèle est fait entre ce développement urbain ralenti et l’extinction progressive de la flamme dans un couple. L’homme promet un avenir meilleur, loin du “flot des phares” mais sa situation semble malheureusement inextricable.
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* le mot sexy pour « vieux »