Robert Smith et sa bande ont terminé en beauté à Rock en Seine leur tournée mondiale célébrant les 40 ans de carrière de The Cure. Le timing paraissait donc parfait pour chroniquer ces artistes majeurs. Et quoi de mieux que de revenir aux sources pour fêter l’événement. C’est en 1980 avec le 2e opus de The Cure Seventeen Seconds que la marque de fabrique du groupe naît véritablement et que les premiers chefs-d’oeuvres apparaissent.
Seventeen Seconds, le début de l’empreinte The Cure
Pour leur 1er album Three Imaginary Boys, Robert Smith avait mal supporté le manque de maîtrise de la ligne musicale. On fait donc peau neuve début 1980. Le leader vocal de The Cure prend tout simplement les rênes de sa carrière artistique. Deux nouveaux musiciens entrent sur l’échiquier, le bassiste Simon Gallup et le claviériste Mathieu Hartley. Laurence Tolhurst reste quant à lui aux percussions. Smith, âgé d’à peine 20 ans, dessine à partir de Seventeen Seconds une trilogie originale avec une vraie direction artistique et plus globalement une empreinte The Cure pour les décennies à venir.
Finie la tonalité post-punk ! Ici le minimalisme et la poésie romantique dominent. Tout est sobre mais incroyablement efficace. Pas de superflu, l’album est remarquable de simplicité, enregistré en quinze jours dans les studios Morgan de la banlieue nord de Londres. La belle modernité de cet album tient aussi à ses rythmes répétitifs et limpides. La poésie sombre de Smith se cale à merveille sur les lignes de basse hypnotiques de Gallup et les nappes synthétiques d’Hartley. D’aucuns parlent parfois de désolation ou même d’aridité sonore avec un chant plaintif, presque lointain. C’est l’originalité de Seventeen Seconds. La voix du jeune Robert Smith s’impose en finesse, enveloppée de spleen et de colère pour dessiner un romantisme vaporeux.
Une oeuvre entres titres phares et escapades instrumentales
Les deux faces du vinyle sont construites autour de titres phares qui traverseront les années et quelques plages instrumentales posées comme de beaux interludes emplis d’épure et de mystère. Ainsi la face A débute par une nappe sonore lente et étirée et se termine de la sorte en ballade mélancolique. La face B démarre quant à elle encore par cette ambiance suspendue, voire tendue. Et c’est là l’intelligence de Smith ! Les plages instrumentales sobres et déroutantes sont là pour mettre en valeur des titres plus rythmés et entêtants.
A Forest est bien évidemment le titre incontournable de cet album. La quête désespérée d’une jeune fille imaginaire perdue au coeur d’une mystérieuse forêt. C’est un trésor musical qui traverse les époques sans une ride, on peut même parler de chef-d’oeuvre dans l’histoire du rock. La fin du morceau est ancrée à jamais chez tous les aficionados avec ce duel Smith/Gallup où guitare et basse se répondent. Simplement mythique !
Les autres pépites – Play for Today avec sa pop atmosphérique, In Your House et son rock épuré, M en l’honneur de sa petite amie de l’époque Mary – nous emmènent droit vers un son new wave à peine dessiné en ce début 80. Avec Seventeen Seconds, The Cure se situe au carrefour de la cold wave chère à Siouxsie And The Banshees, que Smith vénère, et quelque chose de plus entrainant, moins glaçant. Robert Smith se construit sûrement, et construit par la même sa ligne musicale.
L’univers visuel de Seventeen Seconds
C’est peut-être autour de la pochette de Seventeen Seconds que se projette cet entre-deux musical dans lequel s’engouffre The Cure. Le flou, la quasi-abstraction photographique est l’indicateur d’un work in progress en ébullition. On y trouve du mystère, de la tension et aussi une mélancolie rageuse. Et si l’on devait associer un artiste à cet album ou carrément associer une oeuvre artistique à ce travail musical, j’irais sans conteste du côté de Gaspard Friedrich et ses toiles profondément mélancoliques et dépouillées. Un homme est seul face à l’océan, il semble fragile face à l’étendue mais à y regarder de près on perçoit une lumière naissante et attirante, l’avenir va s’offrir avec clarté au pèlerin rempli d’interrogations…
Robert Smith ose l’horizon incertain et offre ainsi dès 1980 un boulevard à The Cure pour marquer définitivement l’histoire du rock.