Au coeur de Liverpool et en pleine mouvance post-punk, les quatre jeunes musiciens de The Pale Fountains osent l’improbable en sortant un album éclectique empreint de romantisme, de légèreté et de luxuriance, Pacific Street.
Une anomalie luxuriante en pleine période cold wave
On est ici bien loin des sonorités cold et new-wave ayant la cote outre-Manche en pleine décennie 80s. Mickael Head, chanteur et leader naturel de The Pale Fountains, signe un 1er LP en cette année 1984, Pacific Street. Le premier single Something On My Mind avait déclenché un bel engouement quelques mois auparavant.
Oui mais voilà, l’album n’a pas rencontré son public. Il apparait comme une anomalie pour bon nombre, exceptés quelques happy few dans mon genre. La critique avait pourtant salué sa remarquable originalité et le NME a même cité Mickael Head comme l’un des plus grands songwriters anglais.
Alors regardons cela 30 ans après, et ayons l’honnêteté de remettre cette pièce maîtresse de la pop anglaise à sa juste place à l’image duSteve McQueen de Prefab Sprout. Cet objet musical non identifié était tout simplement trop sophistiqué, trop raffiné au regard des groupes phares de la décennie.
The Pale Fountains ont tenté l’impossible
Qu’en est-il concrètement de cet album mal aimé ? On peut d’ores et déjà évoquer l’orchestration très soignée, même un brin prétentieuse pour des gamins de vingt ans. Combien de groupes se vautrent lamentablement dans la surenchère ajoutant moult cordes pour atteindre le nirvana symphonique. Et là réside le mystère The Pale Fountains. Le quatuor de Liverpool a tenté l’improbable association : une arabesque de guitares, cuivres, violons, trompettes, choeur chatoyant, et tonalité bossa-nova – Abergele Next Time – voire même jazzy – Beyond Friday’s Field.
Et le pari est sacrément réussi ! Le produit final ressemble à une oeuvre enthousiasmante, revigorante et d’une finesse absolue, faite de mélodies imparables. Avec sa voix d’éphèbe, légère et généreuse, Mikael Head nous caresse l’oreille. La trompette d’Andy Diagram casse les codes musicaux de l’époque et nous propulse vers d’autres horizons, c’est comme une envie de prendre le large. Les percussions de Thomas Whelan sont enlevées, sans emphase et toujours au service du grand tout.
Après le génie, la chute
Alors pourquoi un tel désamour et un accueil à ce point timoré ? Après le deuxième album du groupe From Across The Kitchen Table, le groupe est entré dans une phase de doute, de disputes, de paradis artificiels non maîtrisés. Et la chute s’est avérée brutale pour les jeunes anglais. La presse a d’ailleurs beaucoup relayé ces frasques tonitruantes. L’album s’est perdu dans les vieilleries musicales et le talentueux Mickael Head a entamé sa traversée du désert pour renaître plus tard au sein des groupes Shack et Red Elastic Band, mais sans jamais rencontrer le succès commercial.
Quelques tubes potentiels émergent pourtant sur ce disque, à l’image de Natural, auraient pu, sans conteste, investir les charts anglais de l’époque.
Focus sur la pochette de Pacific Street
Et comment ne pas évoquer ici l’incroyable pochette de Pacific Street qui a fait couler plus d’encre que le contenu musical au final ! On y voit un jeune combattant, baptisé « le garçon à la cartouchière » par les agences photos de l’époque. Il s’agit de Gabor Deak, 17 ans, qui a rejoint les insurgés de Budapest en 1956. Ce cliché est pris au moment même de l’insurrection contre le siège du parti communiste. Blessé, il est transporté à l’hôpital. Il sera arrêté et condamné à la prison pour 20 ans. Il en sortira en 1970.
Mais si le visuel intrigue autant, c’est avant tout pour le regard inquiet du combattant. Il fixe l’objectif du photographe italien Mario De Biasi. Ce reporter a saisi un instant d’une rare intensité. Il nous place au coeur de l’histoire du peuple hongrois. Mais comme la réalité n’est parfois pas assez colorée, la légende a rapidement donné une autre version de l’évènement. Le jeune homme serait mort juste après l’instant photographié et serait tombé au pied de l’objectif pris par une balle perdue.
Et c’est ainsi qu’une pochette étouffe au final un premier album de The Pale Fountains qui n’avait guère besoin d’image iconique pour rester dans les annales des trésors musicaux. L’album Pacific Street existe bel et bien au delà de sa mythique pochette ! CQFD.