1ère partie – Explosion musicale à la Tahiti Boy
Il est 19h58, la salle est déjà presque pleine et un premier groupe s’apprête à ouvrir les festivités avant l’entrée d’Alex Beaupain. Un gaillard barbu à lunettes, pas bien grand, se pointe sur scène. Il est accompagné de 3 sublimes créatures : Elodie, Jeanne et Calypso, apparemment des choristes puisqu’aucun instrument ne leur fait face, 3 pieds soutenant trois micros, tout à hauteur de leurs lèvres. L’homme barbu se met alors à chanter.
On apprécie d’emblée cette voix légèrement éraillée, parfois puissante, parfois douce, mais surtout sans artifice, sans effets superflus, sans pirouettes insensées… Bon, vous l’aurez compris, nous sommes donc très satisfaits qu’il ne soit pas à l’image de certaines des vedettes du 21ème siècle dont nous n’expliquons toujours pas le succès à ce jour. Il se présente : Tahiti Boy, leader du groupe Tahiti Boy and The Palmtree Family. Il se dit fan d’Alex Beaupain et également prêt à tout pour le rencontrer et l’écouter en live.
« Il n’y avait plus de place pour le concert donc le seul moyen que j’ai trouvé pour voir Alex Beaupain était de faire sa première partie »
Plutôt ingénieux en effet.
Mais la tache s’est avérée plus difficile que prévue : pour avoir le privilège de jouer ce soir, l’artiste a du se détacher d’une partie de sa ‘famille palmier‘. Seuls devaient être présents sur scène : un pianiste, des chœurs et le chanteur lui-même. Challenge accepté pour le garçon des îles, qui ne cache pas sa joie d’être la star de ce début de soirée. L’heure est venue pour lui de nous interpréter son deuxième morceau, « le préféré d’Alex Beaupain et de Christophe Honoré » nous dit-il. Il s’agit d’une version profonde et harmonieuse du morceau électro-rock The Park, issu de l’EP Fireman sorti en 2012.
Nous sommes d’abord séduit par la finesse et la délicatesse de l’interprétation proposée par l’artiste durant les 40 premières secondes de jeu. Puis c’est l’élégance et la grâce qui font leur entrée à l’arrivée du premier refrain. C’est en effet à cet instant que les 3 jeunes chanteuses prennent place au show et nous livrent des harmonies et envolées quasi-lyriques techniquement irréprochables. C’est enfin un chanteur libéré de ses chaines que nous découvrons sur le dernier refrain lors d’un quasi a capella (ça fait beaucoup de « quasi » !) mêlant puissance et fragilité, hargne et sensibilité.
Ce morceau est suivi de près par Low Life, morceau phare de l’album Songs of Vertigo de Tahiti Boy & The Palmtree Family puis par une chanson nettement plus « punchy » que les précédentes, à la dynamique gospel, à l’ambiance music-hall et dont la trame musicale rappelle celle de grands maitres du 4ème art tels que Sting ou Elton John. Ce cocktail endiablé, super énergique, clôture en beauté cette ouverture de soirée.
2e partie – Alex Beaupain, le poète mélancolique
Alex Beaupain entame ce concert par l’un des bijoux de son album Après moi le déluge : Je suis un souvenir. Dans ce morceau, ce grand poète au cœur blessé ramène à la première personne du singulier différentes entités matérielles et immatérielles de la vie. Toutes celles-ci appartiennent au passé, à un vécu, et n’existent par conséquent qu’à travers les souvenirs :
« Je suis un dernier souffle, je suis un premier cri, un vieil homme en pantoufles, un bébé en body, je suis tout résumé, le meilleur et le pire, quand tout est consumé : je suis un souvenir, je suis un souvenir, je suis un souvenir … »
L’inspiration Alex Beaupain, elle, n’en est pas à son dernier souffle.
Cette chanson clôturait sa dernière tournée à la Cigale il y a 3 ans, et comme pour prolonger cette belle aventure, il choisit de reprendre ce morceau pour ouvrir sa tournée 2016. Il enchaîne avec l’une des chansons les plus rythmées de son nouvel album, Couper les virages, assis au piano. Puis c’est un virage net que nous fait prendre le chanteur en revenant à des morceaux plus ‘mélancolico-dépressifs’, dont Les voilà, issu de son dernier album Loin :
“Nous voilà, nous voilà, si jeunes et déjà vieux
Chacun dans notre rôle à faire de notre mieux
Pour accomplir ensemble les choses nécessaires
Vider les comptes en banque remplir les cimetièresNous voilà, nous voilà, je sens que l’on s’éloigne
Malgré nos corps qu’on serre et nos bras qu’on empoigne
Nous partirons demain chacun dans notre vie
Un carton sous le bras et tout sera finiNous voilà, nous voilà, Si jeunes et déjà vieux
Nous voilà, nous voilà, à faire de notre mieux
Nous voilà, nous voilà, chacun dans notre vie
Nous voilà, nous voilà, et tout sera fini
Et tout sera fini”
Alex Beaupain présente alors le compositeur de cette chanson, Victor Paimblanc, présent ici ce soir, comme étant son ami guitariste fan de Bowie. Si fan qu’il est vêtu d’un tee-shirt étoilé en son honneur.
« Il l’adore même peut-être plus que moi, ce qui m’énerve un peu !
Au moins, maintenant … »
Le sarcasme du chanteur connaitra un franc succès dans la salle qui ne retiendra pas ses rires. Comme quoi un public accro aux chansons tristes n’est pas synonyme d’un public de dépressifs ! Il reprendra certains de ses tubes tel que Au Départ où il croise ses espoirs pour le Parti Socialiste à ceux que l’on peut avoir lors d’une histoire d’amour naissante. La morale prônée ici : malgré l’espoir, c’est souvent la déception qui l’emporte. Après moi le déluge, grand succès de son album du même nom, réveillera le public resté jusqu’alors assez pudique, à l’exception peut-être d’une brochette de groupies sexagénaire, dans les premiers rangs de la salle, déchaînées d’un bout à l’autre du show et incollables sur tout le répertoire de l’artiste.
Suivront 2 chefs d’œuvres du dernier album, l’un écrit et composé par Vincent Delerm (Rue Battant) et l’autre composé par Julien Clerc (Je te supplie).
Rue Battant est un court récit plein de douceur et de nostalgie des jeunes années passées à la rue Battant, à Besançon, où le chanteur a grandi. Ce récit intimiste s’adresse à ses parents disparus tout deux très récemment. Je te supplie traite d’une autre séparation, celle d’une femme qu’il a aimé et qui n’appartient plus à ce monde aujourd’hui. Que de joie et de gaieté nous direz vous !
Quoiqu’il en soit, il nous paraît impossible de rester de marbre face à tant de poésie, aussi dramatique soit-elle. Je dirais même que l’écoute de ces sombres et déchirantes confidences provoque chez nous un sentiment étrange et indescriptible de bien-être.
Aurions-nous tous, au fond de nous, un semblant de masochisme ? Et si c’était tout simplement ce sentiment de communion, celui de pouvoir partager des émotions communes à tous, les uns avec les autres, qui nous rendait heureux ?
Comme dit si justement Alex Beaupain, citant le Grand Victor Hugo (approuvé ce soir) :
« La mélancolie, c’est le bonheur d’être triste. »
Point par point
- La Bastille, chantée plusieurs fois par Alex Beaupain, est toujours sous la pluie.
- Le batteur du groupe est un invertébré : il nous livre des numéros de « danses » ondulées et désarticulées assez improbables tout en assurant avec brio son rôle d’instrumentiste. Concernant son look, pour faire des économies, Alex Beaupain a trouvé judicieux de ne « l’habiller » qu’à moitié. Lorsqu’il est sur scène seul le haut est visible par les spectateurs ; pourquoi donc s’embêter à lui choisir de beaux pantalons ? S’il venait en caleçon personne ne s’en apercevrait.
- La violoncelliste, apprenti claviériste, rêve souvent qu’elle est nue dans son salon, et que ses voisins d’en face la regardent.
- Le bassiste officiel du groupe s’improvise aussi parfois guitariste. Ou pianiste. Ou encore claviériste… Bref, le genre d’OVNI qu’il est déconseillé d’avoir comme ami si l’on a un sérieux manque de confiance en soi.
- La chanson Delta Charlie Delta remporte la palme de la chanson la plus déprimante jamais écrite :
« C’est ton père qui dit que tu dors
Ta mère qui voudrait te toucher
C’est le bois autour de ton corps
Pour comprendre enfin que tu esDelta charlie delta
Ca se danse la tête contre les murs
Delta charlie delta
La chanson de la mort qui dure »
(Heureusement, l’accompagnement dynamique, aux limites de « l’entraînant » rend l’écoute plus supportable. On s’étonne qu’une combinaison aussi improbable puisse aussi bien fonctionner.)
- L’imagination d’Alex Beaupain dépend de son humeur du moment :
« Vous voyez ces décors et ces jeux de lumières ? Parfois j’imagine que je suis encerclé par une armée d’oriflammes à la Game Of Thrones !
Et puis parfois quand je suis un peu moins en forme, j’ai juste l’impression de voir du linge qui pend. Et puis quand je suis vraiment au fond du trou, j’ai juste l’impression d’être entouré par des feuilles de PQ »
Moins glamour en effet.
Beaupain de mirage
Après un rappel unanime de la part du public, Beaupain revient nous interpréter Brooklyn Bridge, issu de la BO du film Les Chansons D’Amour, dans la configuration la plus sobre qui soit : une guitare, une voix et une scène plongée dans l’obscurité. Le morceau suspend le temps, juste un instant.
Puis retentissent les dernières notes de cette sombre et déchirante déclaration d’amour. Le temps reprend alors ses droits, les lumières refont surface et la musique douce et mélancolique a laissé place au bruit sourd de la foule.
La parenthèse Beaupain enchantée vient de se refermer.