Clap de fin pour la tournée du trio anglais Alt-J. Le 30 octobre dernier, le show de clôture se déroulait dans la mythique salle londonienne du RAH (Royal Albert Hall). La soirée était annoncée Sold Out pour accueillir les musiciens de Leeds, Gus Unger-Hamilton (clavier), Thom Greene (batterie) et Joe Newman (chant et guitare).
1 an de montée en puissance scénique
L’aventure a commencé il y a plus d’un an au 106 de Rouen pour ouvrir la tournée Relaxer. Tous les témoignages indiquaient alors un timide lancement et une prestation encore en voie d’expérimentation. En cette fin d’année 2018 et au moment de baisser le rideau, on savoure désormais un show monumental, travaillé au cordeau et touchant même la perfection scénique. Durant près d’une heure trente, les artistes anglais dévoilent tout leur talent créatif. Et l’espace RAH offre véritablement un écrin somptueux pour sublimer la prestation du trio.
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Les trois albums sont ici présents à part égale. Pas de temps mort, tout s’enchaîne impeccablement et toutes les perles désormais connues sont offertes au public londonien. On aurait en fait voulu tout entendre ce soir-là, que la magie opère toute la nuit durant. Lors d’une interview passée, le batteur Thom Greene expliquait que le groupe souhaitait avant tout que « les albums soient écoutés comme un seul morceau ». Ce fut exactement le cas en cette soirée de clôture : on était dans un déroulé remarquable de linéarité, le concert défilait comme un seul et unique morceau.
Alt-J ou comment passer de timides esthètes à redoutables performers
L’album live de Red Rocks sorti en 2016 m’avait personnellement emporté et rendu même jaloux. J’avais alors rêvé d’une salle hors norme pour apprécier à sa juste valeur ces artistes. Le Royal Albert Hall offre cette chance et l’on peut dire que la magie opère illico. C’est juste hallucinant de repenser aux débuts balbutiants d’Alt-J sur scène. Les critiques les malmenaient même pas mal à ce sujet soulignant leur manque de charisme et de présence scénique en général. C’était bien là leur talon d’Achille…
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Mais aujourd’hui, finies les réserves, les anglais apparaissent décomplexés, devenus même de redoutables performers en pleine maturité scénique. Bien sûr, il n’y a pas de jeux de scène à proprement parlé, mais on n’imagine pas vraiment Joe Newmann parcourir la scène façon Iggy Pop ou Dave Gahan. La présence d’Alt-J est ailleurs, ils électrisent le public comme le ferait Thom Yorke à sa façon. Le son ultra travaillé et la voix de tête de Joe Newmann suffisent à envouter la foule. Et on est comme happé par le dispositif scénique composé d’alcôves enveloppées de néons qui s’animent à intervalles réguliers.
L’atmosphère est plutôt tribale, parfois un sentiment d’apesanteur surgit avec des plages comme Matilda entrainant l’ensemble des 5000 spectateurs du Hall londonien. Et puis la déferlante sonore atteint des sommets avec des pépites comme Something Good, Gospel of John Hurt, Hunger of the Pine, Bloodflood ou Breezeblocks en guise de final déclenchant une standing ovation bien méritée.
Des collaborations hip-hop
Le must de cette tournée 2018 vient des collaborations hip hop présentes sur scène. On connaissait la passion d’Alt-J pour ce son, et l’album Reduxer nous a d’ailleurs offert une ‘revisitation’ des huit titres de l’album Relaxer avec quelques artistes confirmés. L’audace stylistique s’est transformée sur scène avec les voix de Danny Brown et Pusha T via écrans intégrés sur Deadcrush et In Cold Blood pour sublimer la guitare lourde de Joe Newmann. Les voix de ces artistes hip hop résonnaient à merveille avec le timbre nasillard du chanteur anglais. Et clou du spectacle, au lancement du superbe Adeline, les deux rappeurs anglais Paigey Cake et Tex surgissent à cour et à jardin pour accompagner nos rockers anglais 3 minutes durant. Le public jubilait et tous ont salué comme il se doit les deux guest-stars.
Et la presse anglaise ne s’y est pas trompée. Le lendemain même, le Telegraph sortait un papier élogieux en titrant :
« Gently exhilarating triumph »
Un dispositif expérimental exceptionnel pour apprécier le son Alt-J
Enfin si la magie a si bien opéré, c’est aussi grâce au dispositif sonore expérimenté par Alt-J pour le Royal Albert Hall : un son circulaire et enveloppant toute l’enceinte de la salle victorienne. On était comme caressé par des sons venant de partout alentour. Gus Unger-Hamilton expliquait lors d’un entretien avec un média anglais que le groupe souhaitait offrir « une musique qui s’écoute au casque pour amener le public dans une sorte de voyage ». Ce « surround sound » expérimenté pour la première fois au Royaume-Uni a produit exactement cet effet de voyage sonore.
En parlant de l’univers sonore d’Alt-J, d’aucuns parlent parfois de musique hermétique, insaisissable quant au concept musical. Il est vrai qu’il est parfois difficile d’appréhender l’univers singulier de ces performers, mais c’est aussi le défi que nous offrent ces musiciens avec un éclectisme époustouflant, tantôt folk, puis virant vers des nappes de sons planantes et plus près de nous avec des beats électroniques et des samples.
Quoi qu’il en soit, on peut au moins dire qu’Alt-J a bousculé l’orthodoxie de la brit-pop et a même rendu poussive une partie de la scène anglaise grâce à ce son travaillé et ouvert sur des chemins de traverse. Je dis donc respect pour ce grand chamboulement dans le paysage sonore actuel. La musique d’Alt-J nous emmène loin et le voyage fut juste trop beau ce soir d’automne au Royal Albert Hall de Londres.