Pour changer, nous étions très en retard au concert de Kevin Morby au Trabendo mardi dernier. Et par nous, je veux dire moi, Socrate Flagrant, seul devant l’éternel. Pour que ceux qui avaient également la chance d’y être puissent se situer, je suis arrivé au moment du très beau Parade.
Je ne sais pas ce que j’ai raté, et ne le saurais sans doute jamais. Heureusement, Kevin en avait gardé suffisamment pour la deuxième partie de son show complet au Trabendo.
Divinement ancien, ruptures modernes
L’artiste signé chez Dead Oceans – comme un certain Ryley Walker – et dont le nouvel album City Music est sorti il y a quelques semaines, est la plus belle incarnation de ce que serait une ‘jeunesse ancienne’. 29 ans seulement, mais tout le poids de la musique US du siècle dernier sur ses épaules, de la folk de Bob Dylan à sa métamorphose électrique. Il y a en effet quelque chose de divinement ancien dans l’enveloppe musicale que crée le jeune artiste, qui par les ruptures rythmiques et mélodiques dont il orne ses morceaux montre également son ouverture à la modernité.
Chevauchant sa Fender Jaguar rouge et blanche au son d’une pureté estomaquante, Kevin Morby avait déjà pris possession du lieu quand j’y suis entré furtivement, gênant néanmoins l’assemblée de l’objectif imposant de mon appareil photo. L’objectif du natif de Kansas City quant à lui était clair : nous transporter latéralement de 7295 kilomètres, plein Ouest.
Le voyageur incessant et ses 700 compagnons
“If you knew, just how far I travelled” nous dit-il sur Miles, Miles, Miles. Et on le croit sur parole. Comme lorsqu’il entonne I Have Been To The Mountain. On veut bien croire que tu es allé tout en haut, l’ami. On veut bien croire que tu es allé partout en réalité. Et en bonne compagnie, avec ta guitariste solo partenaire, ton batteur à lunettes dont la maîtrise des balais est digne d’un artisan corporatiste et ton bassiste qui prend les tripes.
Même quand il s’assoit au clavier sur Come To Me Now, Kevin Morby nous embarque avec lui. Dans la chaleur intense du Trabendo plein à craquer, il a fini par retirer sa veste rockabilly décorée de notes de musique. Histoire d’encore mieux interpréter ses morceaux. On s’interroge même : ne serait-il pas le seul artiste rock actuel à avoir compris les nuances et le tempo, et avoir la capacité de jouer avec ?
Kevin Morby, entre ballades folk et rock énergique
Juste avant le rappel, Kevin Morby nous offre deux morceaux quasiment en solo : Downtown’s Lights du dernier né City Music – qu’on croirait tout droit sorti d’Inside Llewyn Davis des frères Coen – et Beautiful Strangers, magnifique hommage aux victimes des attentats. Et même si l’on ne sait si l’ensemble du public saisit le poids des mots, une sérénité presque surréelle s’empare du lieu. Sur un tempo lent parfaitement maîtrisé, des applaudissements timides appuient “Pray for Paris”, puis une attente silencieuse sur les phrases les plus fortes “If I die too young, let all that I’ve done be remembered”, ou encore “Release me, every piece of me, up above”.
En bouquet final, l’ex-bassiste de Woods nous offre un rappel revigorant, très rock. On croit même au début d’un Sympathy for the Devil, mais il s’agit en fait de Dorothy, très demandé par l’assistance. En tout cas par un type, totalement obnubilé par cette chanson, au point que sa copine faisait tout pour se faire oublier, et qu’il n’y ait aucun doute sur le nom de leur future progéniture commune.
Le morceau issu de Singing Saw (2016) fait s’agiter la foule, et ce n’était que le début de cette fin de show prolongée. Le productif southerner (2 albums en 2 ans) nous tient en haleine jusqu’au bout avec 4 morceaux punchy, dont un parfait The Ballad of Arlo Jones pour conclure, après s’y être repris à deux fois.
La prochaine fois que Kevin Morby passe à Paris – avant la fin de l’année sans doute, nous a-t-il glissé entre deux morceaux -, nous serons là. Et à l’heure cette fois !