Nous n’avons pas tous les jours la chance d’être à San Francisco. Et encore moins d’y voir l’un des meilleurs groupes rock indé de ces dernières années (Deerhunter) dans l’une des salles les plus mythiques de Californie. C’est pourtant ce qui est arrivé à Napalm et Socrate ce lundi 18 avril (pour plus de commodités, nous parlerons de nous-mêmes à la 3e personne #DelonStyle).
The Fillmore, salle mythique
Comme la décomposition classique d’un récit, plantons d’abord le décor.
Cadre spatial : si je vous dis lieu mythique, ancien théâtre, grand et cosy, vous me répondez… Rien du tout. Sauf si vous avez la chance de connaître The Fillmore à San Francisco ! Repris par le producteur Bill Graham fraîchement débarqué de New York en 1965, The Fillmore devient vite l’un des grands théâtres de la scène rock psychédélique. En témoignent les centaines d’affiches placardés au mur, dont les styles typographiques ont sans doute été nourris par des champignons. C’est d’ailleurs une caractéristique majeure de ce lieu : ces affiches uniques, desquelles les visages des artistes sont absents, remplacés par… Tout et n’importe quoi. Jusqu’à un avocat avec des yeux pour Led Zeppelin ! Situé dans le quartier Haight-Ashbury (communément appelé ‘quartier hippie’ par les touristes français que nous sommes), The Fillmore n’a pas déçu nos attentes : immense, de grands rideaux rouges, des lustres en cristal, une ambiance cosy, un restaurant à l’étage, et le sentiment intense d’être dans un lieu empli d’histoire. Typiquement le genre d’endroit où nous passerions toutes nos soirées si nous habitions à Frisco. Une idée qui s’insinue d’ailleurs doucement dans nos esprits…
Breaker de Deerhunter (Fading Frontier, 2015)
Cadre temporel : le concert de Deerhunter, pour leur tout premier passage au Fillmore, a démarré à une heure que nous ne communiquerons pas (parce que nous n’avions strictement rien à faire de l’heure), après une première partie assurée par les étranges Bitchin Bajas. Et par étranges, on veut dire CARRÉMENT PERTURBANTS. On avait la sincère impression de voir deux Woodstock-styled-bearded people assis l’un en face de l’autre pour une partie de mah-jong. Une main de temps à autre posée sur le synthé, mais beaucoup plus fréquemment utilisée pour attraper une bouteille d’eau (ou était-ce une bière ?). Bref, nous avons décidé avec une sagacité rare d’aller manger (un délicieux burger et des chips guacamole au restaurant du Fillmore). Nous avons rejoints la salle principale rassasiés.
Deerhunter, indécemment bon
Pour faire simple :
- Une acoustique exceptionnelle et un accueil unique (pommes en libre-service – tradition de Bill Graham -, bar et restaurant au top, ventilation etc.)
- Des musiciens hors-du-commun : un sosie négligé et hippie de Michel Polnareff au clavier/saxo (Javier Morales), un batteur maîtrisant (et insistant particulièrement sur) les toms et leadant vraiment les morceaux aux constructions souvent complexes, un deuxième percussionniste plus inventif en termes de choix d’instruments, un guitariste lead chanteur sur certains morceaux (dont l’incroyable Desire Lines, voir plus bas) et un bassiste… égal aux bassistes.
- Un Bradford Cox en forme, presque virevoltant malgré sa démarche (mélange étonnant de Sophie la girafe et Franklin la tortue). Le maestro du noise indie rock de Deerhunter, c’est lui, à la guitare comme au chant.
- Un extraordinaire et indescriptible Desire Lines, à l’accélération de tempo et la montée d’intensité tellement dingues que la salle entière s’est trouvée emportée dans un même élan. Cette intro mimée sur celle de Rebellion (Lies) de Arcade Fire, ces différents mouvements mélodiques, ce refrain addictif, ce shift sublime aux 5/6… À la fin du morceau, Napalm s’est retourné vers Socrate pour lui dire un simple “c’était incroyable“. Lourd de sens.
Desire Lines de Deerhunter (Halcyon Digest, 2010)
- De très réussis Breaker, Snakeskin, Helicopter, et un fucking-n’importe quoi sur Nothing Ever Happened en guise de morceau final. Difficile de dire si l’on était déçus ou satisfaits de ce bordel sans nom sur notre morceau préféré… Mais quoiqu’il en soit, la folie a conclu un concert dont on se souviendra longtemps. On n’oublie pas sa première fois au Fillmore.
Snakeskin de Deerhunter (Fading Frontier, 2015)
Notre note (Socrate Flagrant et Napalm Flagrant) :
Deerhunter : iii ½
Moments inoubliables et indécemment vibrants au Fillmore
Le baromètre de notation Indeflagration évolue de i (piètre performance) à iiii (totalement inoubliable)