« Il est où le soleil il est où » aurait pu chanter Christophe Maé à l’ouverture du Festival Art Rock 2019, alors que vents et marées traversaient la ville en arrachant les capuches de pauvres citadins sans défense. Bon, comme il n’y a rien de pire que de rater sa bande-annonce, et comme de toutes manières nous sommes très certainement les derniers chroniqueurs à publier notre chronique, nous allons sans plus attendre vous spoiler la fin de l’histoire. L’édition 2019 du Festival Art Rock a, une fois encore, tenu ses promesses. Et voici ce que nous retiendrons de cette 37ème édition.
Un clap de début difficile
Un retard de 30 minutes sur la programmation, une pluie diluvienne qui domine ciel et terre, un vent très complice qui se joint à la danse du temps pourri, et une queue interminable jusqu’aux portes du festival, c’est ainsi que s’ouvre l’édition 2019 du festival Art Rock de Saint Brieuc. Heureusement pas de mauvaise augure.
Camélia Jordana, surprise inattendue
Quand la musique est bonne, le soleil donne ! Camélia Jordana ouvre le bal et ne se laisse pas décourager face aux éléments devenus fous. Une voix chaude, un sourire rayonnant, un rire resplendissant, la longue dame brune a pris sa place sur la scène et ramené par sa généreuse présence, un peu de lumière dans ce paysage grisonnant. La plus grande part de ses chansons interprétées sont en arabe, on ne comprend pas grand chose, mais cela ne nous empêche pas d’apprécier l’énergie et le groove général qu’il en ressort.
Nous regrettons de ne pas avoir droit à son hymne Non Non Non que nous aurions chanté à tue-tête les yeux rivés vers le ciel, comme pour chuchoter aux nuages que leur séjour ici a trop duré et qu’il faudrait songer à plier bagage. Camélia Jordana nous offre également un avant-goût de son nouvel album LOST, dont la sortie est prévue pour la rentrée 2019. L’une d’entre elle, Freestyle, fait référence aux suites des événements tragiques de Charlie Hebdo et du Bataclan. Chanson troublante et saisissante, qui ne laisse personne indifférent. Belle introduction à ce chapitre 2019 qui s’annonce très prometteur.
Suzane, la révélation de ce festival Art Rock 2019
Nous ne la connaissions pas, ou très peu, mais nous ne sommes pas prêts d’oublier son nom. Des textes percutants qui parlent de nos vies, des travers de la société, du sexisme, de la solitude, de la société patriarcale (SLT), de l’homme « insatisfait à vie », ou tout simplement de la flemme qui nous anime tous (ou pas justement) à un moment dans notre quotidien. Finalement, nous sommes tous dans le même bateau, et quelle joie de partager cette croisière ensemble !
Une déferlante électro qui nous fait oublier voire même apprécier la pluie qui se déverse sur nous pendant le concert de Suzane. On l’aime pour sa plume, pour son style, pour son charisme sur la scène, pour son fort caractère et pour sa franchise. Également experte dans l’art de la danse, Suzane, anciennement serveuse dans un bar parisien du 20ème arrondissement, est la preuve bien vivante que l’on peut vivre plusieurs vies dans une seule vie. Bravo et merci à vous Grande Suzane, sachez que pour nous ici, à Indeflagration, « ce n’est qu’un au revoir ».
Fatoumata Diawara, la divine
Une musique colorée et entraînante, une bonne humeur flagrante et très communicative, des musiciens de haut niveau et une chanteuse talentueuse. Sa générosité face au public est sans limite. La show-woman donne de toute sa personne sur la scène. Jusqu’à sa longue chevelure dont l’artiste se détache pour en faire un accessoire de scène le temps d’un morceau. Nous sommes envoutés et charmés par la proposition artistique de l’ensorceleuse aux cultures croisées.
Meute, un tableau sublime et harmonieux
Nombreux disent qu’aujourd’hui les « vrais » musiciens n’existent plus et se meurent dans les écoles de musique au profit de « pianoteurs », de DJ qui composent sur des notes « synthétiques ». Meute nous prouve le contraire. Car cette fois ce ne sont pas des DJ aux platines reprenant des sons empruntés aux musiciens « classiques » mais bien l’inverse. Ainsi Meute nous fait vibrer au son d’un véritable orchestre varié et chorégraphe. Ils sont beaux et élégants, et les jeux de lumières illuminent et habillent à la perfection ce joli tableau vivant. Mention spéciale pour la sublime reprise de You And Me de Disclosure et Flume.
Il n’a de Voyou que le nom
Très heureux de prendre place sur la scène B du festival, le jeune auteur-compositeur-interprète Thibaud Vanhooland, dit Voyou, impose immédiatement son style et annonce la couleur, à l’image du décor autour. Fleuri, et très coloré, on se croirait au milieu d’une jungle multicolore. Les chansons ont quelque chose d’onirique, desquelles émane un sentiment de nostalgie heureuse, accompagnées de passages de trompette, à la fois subtils et audacieux, tout au long du concert. Le chanteur explique qu’il a écrit à Saint-Brieuc et enregistré des voix, ici, avec une personne de la région.
Quelle n’est pas notre surprise en voyant Yelle rejoindre l’artiste sur la scène. Dotée de son béret et de sa combinaison fleurie, tout à fait dans le thème, elle nous livre, accompagné par son hôte d’un soir, un show des plus réjouissants tant pour les yeux que pour les oreilles. La présentation des musiciens et des chanteurs se fait par tours de vibes. La musique ne cesse d’occuper l’espace jusqu’à la dernière seconde du show. Enfin la chanson tant attendue arrive : Seul sur ton tandem ! Le jeune chanteur s’approche du public et s’accroupit face à lui. Il conte alors son histoire, un large sourire aux lèvres. Puis il rependre sa marche, et ondule et sautille sur la scène. Il est temps d’interpréter son dernier morceau. Voyou s’arme de sa trompette pour nous faire chavirer une dernière fois avant de nous dire au revoir, and this is the end.
Charlie Winston, talentueux dandy
Connu de tous pour ses titres-phares Like a Hobo et In Your Hands l’English man à la voix de crooner et au style si reconnaissable est aussi l’auteur de bien d’autres pépites. Mention spéciale pour Love Your Smile et Kick The Bucket, issus de son premier album Hobo, sorti en 2009 ou The Weekend, issu de Square One sorti en 2018.
Entre envolées quasi-lyriques par moment et passages rock fulgurants, Winston, l’Élégant et l’Imprévisible, nous régale d’un bout à l’autre du spectacle. L’homme au chapeau, au style si singulier, est un expert dans l’art de la scène, mariant grand professionnalisme et sens du détail au sens du show et de l’improvisation. Chapeau bas Monsieur Winston.
Gringe, l’idole des jeunes
Le public de Gringe est jeune, très jeune, ou bien c’est nous qui sommes devenus vieux. La tribu des lycéens / jeunes étudiants est au taquet et ne manque pas une occasion de chanter sur les refrains de Qui Dit Mieux ou Déchiré issus de son dernier album Enfant lune. Gringe, sous ses airs d’homme grave et ténébreux, ne cache pas son émotion face à cette foule d’adorateurs complètement incollable sur la plupart de ses titres. Le concert bat son plein, mais il manque pourtant quelqu’un à la liste. Bien que les Casseurs Flowters aient pris leurs retraites, nous espérions une apparition surprise de son acolyte, son compagnon de route au cinéma, à la télé, comme à la scène. Orelsan le Talentueux, qui nous avait tant marqué et tant ému lors de l’édition précédente du festival.
Tant pis pour nous, ce sera DJ Club Med, qui semble occuper une place particulière dans le cœur de l’artiste puisqu’il ne loupe pas une occasion de lui dire qu’il l’aime, et de réclamer des tonnerres d’applaudissements pour célébrer sa personne et son talent. Un talent de l’ombre à mettre en lumière.
Jeanne Added, une transe manquée de peu
Mixant depuis déjà un bon moment à certaines soirées parisiennes, on la retrouve maintenant sur la scène des festivals à faire découvrir sa musique, sa voix, au grand public. Une technique vocale irréprochable, un regard envoutant, un style très stylé, et une personnalité énigmatique et fascinante. Jeanne Added a pris place sur la Grande Scène du festival, pour notre plus grand bonheur.
Certains entrent littéralement en transe avec l’artiste. Nous partageons, avec mes autres acolytes, une longue danse de l’amour, enlacés les uns contre les autres, quelques secondes suspendues, qui nous rappellent à quel point la musique transcende, à quel point la musique rapproche et à quel point la vie est belle ! (C’était la minute mielleuse de la chronique, promis on va se reprendre)
Cependant, malgré les talents multiples incontestables de l’artiste, je reste un peu sur ma faim. Je ne vis pas pleinement cet échange que j’espérais intense et direct et me sens un peu « en dehors » du show. J’écoute et observe ce beau spectacle sons et lumières, sans pour autant me sentir pièce intégrante de celui-ci. Il manque un brin de lâché prise, de petits dérapages, d’improvisations, de surprises, de longs moments de grâce, d’instants poignants et percutants, ou au contraire très groovy et entraînants. Il manque cette spontanéité festivalière essentielle à toute connexion entre un public de non-initiés (pour certains) et la maitresse de cérémonie.
En observant un peu mieux la foule qui m’entoure, je me rends rapidement compte que mon avis est loin de faire l’unanimité. Le show semble plaire et tant mieux. Car nous, Jeanne Added, malgré tout ce qu’on peut dire, on adhère complètement ! Sa musique et son énergie ont chauffé la scène qui se prépare à recevoir bientôt deux autres monstres (belges) de la scène musicale 2019 : Angèle et Lomepal.
Blow met le feu
Dans le public, petits et grands dansent au rythme de la musique et des mouvements des musiciens de Blow. L’association entre des chants aigus, un peu aérien et psychés, et un son à la croisée du rock et de l’électro, donne un rendu assez original. Les chansons les plus planantes donnent même l’illusion que nous allons nous envoler.
Thomas Clarice, guitariste fou furieux, tout d’orange vêtu, occupe la place. Il se balade sur toute la scène et bouge dans tous les sens, avec beaucoup d’aisance et de présence, malgré des problèmes techniques d’écouteurs persistants, et certainement très handicapants. Un sens du rythme incroyable, des danses calquées sur ses musiques, un style et un charisme ravageur, nos regards peinent à se détacher de lui. Des énergies invisibles viennent alors s’emparer de lui, sa tête devient incontrôlable et se lance dans un balancement d’avant vers l’arrière, qui s’accélère, et qui perdure durant presque une minute (qui en paraissent cinq !). Ses longues dreadlocks suivent elles aussi la balance, moment surréaliste mais qui participe à l’ambiance décalée et électrique du Blow Show dans son ensemble.
Le clou du spectacle : un You Killed Me on the Moon à l’unisson entre les musiciens et son public, moment d’osmose et de grâce pour boucler ce concert de folie en beauté.
Angèle très attendue
Difficile de trouver une place au milieu des fans en folie se pressant contre les barrières attendant la jeune chanteuse de 23 ans. Angèle est très attendue et elle le sait.
Sa musique est telle qu’on aime l’écouter chez nous, sans toutefois, pour notre part, faire naître une émotion particulière en concert. Pas de grande surprise, un show assez millimétré et bien taillé. Chorégraphies parfaitement exécutées, jeux de lumières et de mises en scènes sur mesure. Consciente de son succès et des chemins qui se dressent face à elle, Angèle vit sa tournée à fond et en donnant beaucoup, tout en gardant une certaine réserve. C’est une jeune femme entière, qui connaît ses qualités et ses défauts sans chercher à les nier ni à les cacher.
Elle incarne, au travers de ses textes, les extravagances et les préoccupations de notre génération : féminisme, réseaux sociaux, « la thune », tout en reconnaissant qu’elle appartient elle aussi à certains de ces clichés qu’elle dénonce. Créative, pétillante, intrigante, et pleine de vie, Angèle est une artiste originale. Saura t-elle cependant marquer les esprits durablement, se renouveler, surprendre toujours et encore, et garder un public large de fidèles qui la maintiendront encore longtemps en haut de l’affiche ? Histoire à suivre.
Lomepal, un final magistral pour Art Rock
Très attendu aussi, Lomepal est le dernier artiste à se présenter sur la Grande Scène. Un décor impressionnant pour un festival. Des blocs lumineux empilés les uns sur les autres, un musicien disposé sur l’un d’entre eux, telle une pièce intégrante du puzzle scénique, une applique lumineuse en forme de globe terrestre où l’on voit latitudes et longitudes est accrochée au plafond de la scène. Le public du festival Art Rock attend son arrivée avec impatience. Son nom est scandé alors que l’heure de son apparition approche à grand pas.
Il est là où nous l’attendions, et nous ne sommes pas déçus. Lomepal nous fait partager et repartager ses plus beaux morceaux. Nous sommes séduits par son timbre de voix riche et singulier : rond et coloré dans les notes les plus basses, doux, subtile et légèrement voilé dans les hauteurs. Il s’avère être un conteur remarquable, à la diction impeccable et au talent d’interprète incontestable. Certains airs respirent la hargne, nous sommes les témoins et les complices de ses déceptions, ses regrets, ses doutes, ses coups de gueule – Bécane, Trop Beau. De certains de ses autres morceaux émanent aussi beaucoup de douceur, une certaine fragilité touchante et émouvante. Comment ne pas craquer face au Vrai Moi qu’il nous décrit et qu’il nous chante en milieu de concert. Puis, il s’allonge sur la scène pour chanter Tout Lâcher. Il peut compter, à tout moment, sur son public pour finir les paroles de ses chansons lorsque des pauses s’imposent :
« Saut de l’ange dans le système [ENSEMBLE] (flash de lumière)
On a maquillé la tristesse [ENSEMBLE] (flash de lumière) »
En présentant ses musiciens, dont au piano l’ancien membre du groupe Revolver devenu SAGE, Lomepal nous annonce qu’un album acoustique de ses chansons verra bientôt le jour et que son pianiste et guitariste attitrés seront de la partie !
Les minutes passent, les chansons trépassent, et il est l’heure d’annoncer que c’est le dernier morceau. Lomepal interprète alors l’un de ses plus grands tubes Trop Beau. Tout le public hurle d’euphorie dès l’envoi des premières notes, puis l’accompagne d’un bout à l’autre du titre. Nous avons clairement affaire à un public de fans incollables, dont nous faisons certainement un peu partie, puisque nous chantons nous aussi !
Après plusieurs minutes de rappel, les musiciens reviennent pour interpréter leur dernier single : 1000°C. Chansons brûlante en prélude à la canicule à venir, comme son auteur et le public qui l’acclame, Lomepal se défait de ses chaines et se jette corps et âme sur son public. Un final grandiose qu’Edith Piaf – pourquoi pas – raconterait mieux que quiconque :
« Emportés par la foule qui nous traîne
Nous entraîne
Écrasés l’un contre l’autre
Nous ne formons qu’un seul corps
Et le flot sans effort
Nous pousse, enchaînés l’un et l’autre
Et nous laisse tous deux
Épanouis, enivrés et heureux. »
La parenthèse Art Rock se referme comme elle s’était ouverte. Sous une marée céleste, peut-être plus intense encore que celle des premières heures du festival. Mais entre-temps, le temps des mots, le temps des sourires, le temps des frissons, de l’insouciance et des danses endiablées est passé et ces vagues de pluie paraissent bien dérisoires face au torrent de jouissance de ces trois derniers jours. Une chose est sûre, le feu de Saint-Brieuc brûle, brille encore très fort et résiste à la tempête. La bonne ambiance règne toujours dans le cœur de la ville bretonne et c’est pour ça qu’on l’aime. Alors, Christophe, rassure-toi, « il est là le soleil, il est là ». À l’année prochaine !
BONUS : Une ville en fête au-delà du festival Art Rock ?
Dès que les rayons du soleil percent et que le temps se fait moins rude, on retrouve toujours les rues bondées de familles, de lycéens, d’étudiants prêts à profiter des DJs présents dans les bars pour ArtBistRock (collectif de bistros d’art rock organisant des petits événements musicaux pour l’occasion), de Rock’n Toques et de sa cuisine raffinée au rythme d’un air pop, jazz joué par les musiciens du village se produisant sous le chapiteau ou encore des expositions et spectacles de rues inspirés du thème de cette année, Animals. Pour notre part nous ne faisons pas l’impasse, cette année encore, sur le bar Le Michelet, joyeux troquet devenu discothèque la plus branchée et attractive de Saint-Brieuc pendant le festival Art Rock 2019. Testée et approuvée deux années consécutives par Indeflagration.