Prélude
Singapour, samedi 19 mars 2016, 20h (GMT +8). A environ 10 000 kilomètres de la France, Matthieu Chedid, plus connu sous le nom de -M-, se produit sous les projecteurs de la cité-état au cœur de l’Asie du Sud-Est. Rares sont les artistes français à pouvoir se vanter de faire une tournée asiatique. Mais The Extraordinary Live Show fait partie des exceptions en s’arrêtant aussi bien à Hong-Kong qu’à Séoul, Tokyo ou Shanghai, pour le plus grand bonheur de tous. Enfin surtout des nombreux expatriés français en manque de chanson française dans une région où l’anglais (ou plutôt le singlish, mélange étrange entre anglais et chinois difficilement compréhensible) fait légion.
Et c’est peu dire, car ce soir-là sur l’île touristique de Sentosa, mêlant plages paradisiaques et parc d’attraction Universal Studios, le Coliseum où se produisait l’artiste était français. Dans un pays où le nombre d’expatriés français se chiffre à plus de 10 000, les francophones ont répondu présents à l’appel de -M-. Dans la fosse, on n’entend pas un mot d’anglais, pas un accent asiatique. Ce soir-là, il ne manquait plus qu’un camembert pour faire du lieu un territoire français à part entière (mais vu le climat équatorial, c’est chaud de le conserver, quoi, perso je tenterais pas).
Chapitre I – Seul sur Singapour
En parlant de climat, dans une ville où la température varie de 30 à 35°C (pour une humidité allant jusqu’à 90%), le public s’est habillé en conséquence en délaissant jeans et t-shirts à manches longues pour des débardeurs et des tongs. Malheureusement, lorsqu’on est artiste, il faut souffrir pour être beau et lorsque -M- arrive sur scène, c’est vêtu d’une épaisse veste à paillettes qui fait transpirer le spectateur lambda rien qu’en la regardant (« il doit crever de chaud ! » entend-on à côté de nous).
Mais la magie opère lorsque résonne le fameux riff de Qui De Nous Deux, alors que le chanteur sort furtivement de l’ombre, seul, muni d’une guitare acoustique et avec à ses pieds une grosse caisse de batterie. Sans ses lunettes ni sa fameuse perruque, c’est dans un format intimiste que débute ce concert, ce qui n’empêche pas la foule de chanter en chœur 90% des paroles de son fameux tube. Que cela soit dit : Matthieu Chedid est en terrain conquis ce soir à Singapour.
Chanteur mais aussi musicien, -M- est taillé pour la scène. Alternant sans mal entre chant et solo (et faire un solo quand on est seul sur scène, c’est pas facile), il est là pour passer un moment avec le public et pas juste devant lui. « Bon alors là, on va faire un truc, vous allez tous vous taire et mettre les petits flashs de vos téléphones, comme ça, ça fera un joli ciel étoilé, voooooilàààà, c’est beau là ! » demande-t-il d’un ton spontané à l’audience avec de démarrer la Belle Etoile. Quitte à jouer avec le public, -M- décide de s’improviser une chorale pour enchaîner avec La Seine. « Je vois qu’il y a beaucoup d’enfants ce soir, ce serait bien qu’ils viennent sur scène, on va faire un petit truc sympa. » Eh oui, le monsieur peut se vanter de pouvoir jouer à l’autre bout du monde et de réunir vingt enfants connaissant ses chansons. C’est beau, ça.
Fun fact : à Singapour, l’une des villes les plus propres du monde, il est interdit de mâcher du chewing-gum sous peine de subir une amende de 1000$S.
Chapitre II – Jamais un sans trois
Mais voilà, après quelques expériences acoustiques, Matthieu Chedid évolue. Rejoint par ses deux acolytes, il ne lui en faut pas plus. À ma droite, un batteur/chœur tout sourire vêtu d’un sweat à capuche à paillettes (nous l’appellerons Hoodie Guy). A ma gauche, un guitariste/chœur armé d’une guitare dont les deux premières cordes ont été retirées au profit de cordes de basse. Il a aussi installé une espèce de synthé/switchs bizarre. Et il aussi greffé une boîte à rythme dessus tant qu’à faire. Ah, sans oublier son iPhone qui est branché sur sa guitare. Et puis il aussi mis une cafetièr… Non, faut pas déconner non plus. Bref, à la vue de cet instrument demandant probablement un bac +9 pour l’utiliser, nous l’appellerons Dr. Frankenstein.
Trois personnes. Il n’en faudra pas plus pour faire tout de suite monter en intensité le show. Enchaînant les hits, à commencer par Onde Sensuelle, Matthieu Chedid entraîne avec lui le public sur la pente du groove. Sans jamais oublier son audience ni ses copains de scène, il laisse Hoodie Guy jouer avec la foule avec une chorale sous forme de questions-réponses allant des classiques « yeah-oh » aux « miaou-miaou-miaou » (vous avez dit barré ?). Pendant ce temps-là, l’homme au riff aiguisé et la rime bien pensée finit par (enfin ?) porter à ses yeux les lunettes en forme de M qui trônait à côté de son micro. Alors qu’on distingue la silhouette d’un choriste à la perruque ravageuse et à la chorégraphie étrange derrière lui, on le devine tous. Ça va venir. Le changement, c’est maintenant.
Fun fact : le durian, fruit populaire en Asie du Sud-Est, est interdit dans les transports à cause de son odeur, décrite comme « celle des excréments de porc, de térébenthine et d’oignons, le tout garni par une vieille chaussette » (Richard Sterling).
Interlude – Van Halen et boîte à rythmes
Alors que -M- présente son poto Dr. Frankenstein (jouant de la « basstare » dixit le monsieur), il s’échappe discrètement de la scène. Qu’à cela ne tienne, le poto en question va enfin pouvoir faire état de son doctorat en basstare. Après un gros solo qui s’achève sur un petit Eruption des familles (sisi, la partie en tapping culte d’Eddie Van Halen) on se dit « ah ouais, costaud le type ». Mais avant même de pouvoir réagir, le docteur, rejoint par son copain Hoodie Guy, réalise l’incroyable. En une simple pression de sa boîte à rythmes, U Can’t Touch This du fameux MC Hammer se met à résonner dans Sentosa avec sur scène la chorégraphie adéquate. Hammer Time. Puis on enchaîne sur Jump Around de House of Pain, où le pogo est naturellement de rigueur. Cela aurait pu être simplement WTF mais on va au-delà lorsque Dr. Frankenstein balance une grosse disto sur Killing in the Name, le mythe absolu de Rage Against The Machine.
Que s’est-il passé ? Une faille dans l’espace-temps ? Une intervention divine ? La création du docteur a-t-elle pris vie ? Personne ne le sait vraiment. Mais quand même, il faudra qu’on chope le contact de son luthier.
Chapitre III – Les Métamorphoses
Après ce moment aussi plaisant que ouadefeuqueste, les lumières s’éteignent. Sauf une, en forme de M, qui s’avance lentement au milieu de la scène. La métamorphose de Matthieu Chedid en -M- est complète : avec ses lunettes brillantes du swag et sa perruque aux allures étranges (même pour les standards asiatiques), le concert arrive à son pic d’intensité avec Mojo. Tout le monde s’éclate devant le Mister Mystère sautillant sur scène (on a presque peur de le voir s’envoler d’après les mouvements de sa perruque), jusqu’à la fin de la chanson où le noir revient, laissant -M- immobile pendant une bonne minute. Un M dans la nuit.
Funky et groovy, c’est très clairement comme ça qu’on ressent le show de l’artiste qui rassemble un public aussi varié. Entre gros solos sur sa Stratocaster, chansons à texte et petits riffs funky, il sait faire preuve d’équilibre et de cohérence dans son show. Et peu après ce pic, il redescend progressivement sur Terre sous forme de Matthieu Chedid, retirant sa perruque pour laisser place à un moment plus calme. Du moins, temporairement.
Car rapidement, Matthieu Chedid a envie de se rapprocher de nouveau du public. Littéralement. Il décide de s’inviter dans la fosse et de jouer en plein milieu de la foule, allant un peu partout dans la salle et se frayant un chemin parmi les gens lui laissant sans problème la place (la foule n’étant pas très dense). Le type aime lâcher des solos à un mètre de toi, comme s’il était spectateur de sa propre scène.
Toujours plus barré lorsqu’il remonte sur scène et qu’il commence à jouer Baïa, il s’arrête après trois accords en apercevant un feu d’artifice random à côté. « Ah tiens, il se passe quelque chose par là-bas. Ah oui, sympa. Ils font vraiment pas les choses à moitié ici, on est plutôt bien reçus. »
Fun fact : à Singapour, un piéton qui se fait renverser alors qu’il traverse au feu vert peut dans certains cas être tenu comme responsable à 15% s’il ne fait pas attention.
Chapitre IV – One M Show
Trois sur scène à chanter et à danser, c’est bien. Mais plusieurs centaines, c’est mieux. Du coup, Monsieur Chedid a décidé d’apprendre la choré et les mélodies de ses morceaux à tout le monde. Que ce soit sur Je dis Aime qu’il dédicace à sa grand-mère Andrée (ayant écrit les paroles) ou sur Mama Sam, il ne faut pas longtemps au public pour suivre le chanteur (en même temps, c’est pas difficile quand 90% des gens connaissent déjà les paroles). « Ah, on commence à être bien là ! Moi ça m’excite toujours un peu sur ce moment quand je fais le Pschouuu ! Toi devant c’est pareil, non ? J’ai l’impression que oui en tout cas. »
L’intensité remonte peu à peu jusqu’au moment où démarre la ligne de basstare de Machistador. Armé de sa stratofunky, -M- repart sur les bases du début en invitant le public sur scène. Mais point d’enfants cette fois-ci, les filles sont de circonstance pour cette chanson. On dénombre ainsi plusieurs pas de danse cultes, une vingtaine de filles sur scène et un solo sur l’une d’entre elles (oui oui, vous avez bien lu). C’est sur ce point d’orgue que se finit le show « pré-rappel », laissant le groove dans le Coliseum de Sentosa.
Fun fact : à Singapour, l’alcool étant fortement taxé, le prix des demis de 25cl de bière en concert peuvent s’élever à 10$S (soit environ 6,7€).
Chapitre V – Retour vers Singapour
Cependant, il ne faut pas longtemps avant que Monsieur Chedid ne se fasse rappeler sur scène pour son rappel. A peine quelques minutes après avoir quitté la scène, il revient avec un musicien inconnu. « Alors on va faire un truc expérimental, il y avait cette personne dans l’équipe qui fait de la musique, on s’est dit qu’on allait faire un petit jam improvisé avec de la musique locale de Singapour parce qu’on est quand même à Singapour, hein. On n’a jamais joué ensemble, on se connaît pas et on n’a pas répété mais ça va être marrant. »
Le Singapourien, avec une sorte de flûte traversière en bois, légèrement timide au début, prend vite ses marques en se calant sur la mélodie. Progressivement, il se laisse emporter par le crescendo et, tel un shredder de la flûte, LÂCHE UN PUTAIN DE SOLO devant un -M- tout sourire, jusqu’à ce que l’intensité redescende et que le flûtiste retombe dans sa timidité en ouvrant les yeux. Sous le regard approbateur des autres musiciens et sous les applaudissements du public, il finira tout de même par nous remettre ça, pour le plus grand bonheur de tous.
Après une chanson inédite (« jouée pour la première fois à Hong-Kong il y a quatre jours ») et un autre de ses tubes, -M- termine son concert en beauté avec la même énergie tout du long. Les musiciens rengainent leurs instruments, mais quand il y en a plus, il y en a encore. « On a décidé de finir en dansant un peu, allez, tout le monde s’éclate maintenant. » Et ainsi, le public assiste à une version live du clip de Mojo, choré incluse. Une conclusion à l’image du concert : du groove, une dose de barré et beaucoup de proximité avec le public.
De ce concert, on retiendra donc :
- l’annexion temporaire du Coliseum de Sentosa à Singapour par les Français ;
- un public allant de 3 à 86 ans de tous types ;
- le groove à toute épreuve de -M- ;
- une basstare qui ridiculise la guitare/basse du dernier Mad Max ;
- trois chemises sacrifiées dans la chaleur équatoriale ;
Une très belle soirée pour tous les Français de Singapour dont on peut regretter la durée (pas de première partie ici avec un show à la durée totale de 1h45 pour terminer à 22h15), mais dont on peut saluer la grande qualité, faisant du moment une réunion conviviale d’expatriés avec un grand monsieur de la musique française, capable d’insuffler à tous son énergie et sa musicalité sans jamais s’éloigner du public, quel qu’il soit.
Note sans appel (Ingéflagrant) :
-M- : iiii
Le baromètre de notation Indeflagration évolue de i (piètre performance) à iiii (totalement inoubliable)