Le lundi est une expérience traumatisante pour l’être humain. Quitter le confort douillet du week-end pour devoir attaquer une semaine, se lever tôt, parler à des gens voire pire, être productif (enfin ça, c’est selon), c’est déchirant. Mais voilà, il y a une dizaine de jours, on a vécu un lundi plutôt sympa avec Opeth et on s’est dit que ça valait peut-être la peine d’en parler.
Le lundi, Opeth la forme
Ça se passe dans la magnifique salle du Trianon (sérieusement, les concerts au Trianon c’est quand même la classe) un lundi soir, plus précisément. Une soirée placée sous le signe du metal progressif puisque Opeth, le légendaire groupe suédois, est sur place pour le premier de ses deux concerts à Paris après la sortie de son dernier album Sorceress. Alors pour une fois, on va parler de death metal, de growl et autres joyeusetés distortionnées. Pour la bonne cause, parce que Opeth est un groupe exceptionnel, combinant prog, death metal et même jazz fusion.
En cette soirée du 21 novembre, on croise de tout dans la fosse. Principalement des T-shirts avec des noms de groupe aux polices exotiques et difficilement déchiffrables, mais aussi des amateurs plus sobres et de tout âge.
1ère partie : Myrkur au chrome
Rapidement, le concert démarre avec la première partie : Myrkur, groupe formé d’une seule musicienne (j’appellerais ça « une artiste » mais apparemment c’est considéré comme un groupe, donc on dira qu’il ne s’agit ni d’un trio, ni d’un duo mais d’un uno dans ce cas). Accompagnée sur scène par deux choristes, Amalie Brunn aka Myrkur s’est lancée dans l’exercice périlleux d’une première partie où chaque morceau ne contient pas plus d’un instrument (au choix entre violon, guitare et piano).
Le set a le mérite d’offrir une expérience calme et posée dans un style différent et finalement plutôt sympathique, malgré une présence sur scène entre « poker face » et « exorcisme ». La voix cristalline de Myrkur, dans un style assez black, offre un bon prélude à la suite, à ce que tout le monde attend et est venu voir.
Opeth i, ça commence !
Vers 20h30, les lumières s’éteignent, ne laissant qu’un halo rougeâtre sur la scène. Progressivement (comme le metal, lol), les musiciens d’Opeth arrivent. La batterie et le clavier, rejoints par la basse, commencent avec le titre phare du dernier album éponyme : Sorceress.
Discrètement s’invitent enfin les deux guitaristes, dont le leader Mikael Åkerfeldt au chant, pour lâcher la mélodie complexe de l’intro et tomber dans le riff lourd, assis sur le drop A des guitares. Le morceau est finalement assez caractéristique de l’album où le growl est délaissé au profit d’un chant clair tout en conservant cette ambiguïté entre death metal et prog/folk, dans la lignée de Pale Communion sorti en 2014.
Mais voilà, Opeth a eu une vie avant tout ça, et le groupe a à cœur de proposer des sets où les anciennes chansons rencontrent les nouvelles. Dès le deuxième morceau, on tombe alors dans la violence avec Ghost of Perdition, le premier morceau incroyable de Ghost Reveries. C’est là tout le talent d’Opeth, et en particulier de Mikael Åkerfeldt, pilier du groupe capable de passer d’un style purement Jethro Tull à un growl à la fois clair et puissant sur fond de disto énervé.
On prend plaisir à écouter en live leurs chansons, durant généralement plus de dix minutes, où les riffs s’enchaînent mais ne se ressemblent pas. De leur capacité à mélanger les styles vient cette richesse extraordinaire. C’est comme s’ils possédaient ce don de voir la musique avec une dimension supplémentaire qui ajoute autant de relief à leurs compositions. Une forme de schizophrénie latente où on passe d’un extrême à l’autre et on se surprend à trouver ça logique. Un peu comme si on découvrait qu’un menu Maxi Best Of Big Mac est le plat parfait après une entrée à base d’œufs d’esturgeon accompagné de son émulsion de poisson.
Après ces deux morceaux, l’heure est venue pour le charismatique leader de se présenter, en homme poli qu’il est.
“Good evening. We are Opeth and tonight we are gonna have a show where rock’n’roll music will be played so I hope you enjoy rock’n’roll. We are a bit tired because, you know, we didn’t have the occasion to listen to some Bon Jovi stuff before going on stage.”
Tout ceci entrecoupé de growls soudains et brutaux venant de la foule.
“You know you’re at a rock show when people just go ‘HUUUUUUUUH’ randomly.”
Maîtrisé Opeth iz oignons
Techniquement, chacun des musiciens est irréprochable. Entre la vitesse de jeu du bassiste, la précision du batteur, la polyvalence du clavier, les écarts sur les accords (bien chelous) des guitaristes et la clarté du chant, je ne sais pas ce qui est le plus impressionnant. Certes, l’improvisation n’est clairement pas la priorité du groupe (la setlist a d’ailleurs peu changé entre les concerts) mais même malgré cela, les musiciens d’Opeth sont juste monstrueux. Ajoutez à ça des compos incroyables et vous aurez un groupe capable d’enchaîner des prestations exceptionnelles où la déception d’avoir un morceau massacré est une chose qui n’existe pas.
Que ce soit sur des titres plus calmes comme Windowpane ou Cusp of Eternity, des morceaux plus brutaux tels que The Drapery Falls et The Grand Conjuration ou des titres entre les deux comme le récent The Wilde Flowers, Opeth impressionne. Le rappel sur Delivrance restera un souvenir mémorable pour chacun, avec une outro juste phénoménale (sérieusement, si vous ne connaissez pas le morceau, écoutez le rien que pour l’outro à partir de 9:30) où le riff incisif reste comme suspendu hors du temps dans l’esprit de tous, comme s’il était gravé à gros coups de distos.
Pas des (l)Opeth
“The first time I heard French people talking about my music was when I was 19 and we had just released our first record. You know, you’re very sensitive when you’re 19. So here I was, holding this magazine reviewing the album, searching for the review. When I found it, I had one star. Out of ten. And it said, I remember what it said, ‘boring and uneventful’” a expliqué en rigolant Åkerfeldt entre deux morceaux. Running joke de la soirée où les adjectifs seront obligatoirement utilisés par au moins un fan entre chacun des titres, cette remarque montre que Opeth n’a plus rien à prouver après 25 ans dans le milieu du metal prog et assure son statut de référence dans le domaine.
Le chanteur à la tête du groupe, toujours proche de son public (« A poil ! », « Yeah, I didn’t understand but that sounded really great ! »), aura réussi quelque chose d’exceptionnel. Certes, il aura été à l’origine de compositions délirantes, incroyablement riches. Certes, il aura porté un groupe pendant 25 ans sans jamais s’enfermer dans des standards. Mais surtout, surtout, il aura fait passer un bon lundi à une salle sold out. Et ça, c’est beau, Monsieur. Bravo.