Le Pitchfork Music Festival Paris 2018 se tenait de jeudi à samedi à la Grande Halle de La Villette. L’occasion pour tous les hipsters tendance dark de la capitale de se donner RDV, mais aussi et surtout au média musical ultime Pitchfork, originaire de Chicago, de nous montrer qu’il est toujours… le média musical ultime.
Je débarque
Si je suis d’emblée très honnête avec vous, je vous avouerais que je n’ai pas été un très bon élève de ce Pitchfork Music Festival 2018. D’abord, je n’y étais pas le vendredi. Scandaleux me direz-vous. Mais il y a pire. Alors que je l’attendais avec ferveur, je n’ai même pas pu assister au Pitchfork Avant-Garde mardi et mercredi… La faute à ce bambin qui grandit très vite et accapare mes journées et nuits. Certains savent déjà de quoi je parle, les autres n’ont qu’à cliquer sur le lien.
Bref, parlons musique. À défaut d’une continuité, cette édition du Pitchfork Music Festival Paris 2018 – oui, je dirai le nom en entier jusqu’à la fin, pas seulement pour le référencement Google – a été marquée de 5 beaux éclairs, à commencer par…
1. Animal Kitchen
Attends deux secondes… Mais ce groupe n’est pas sur la programmation officielle ! Qu’est-ce donc ?
J’ai décidé de jouer avec vos nerfs. Bien que ‘Animal Kitchen‘ entrerait très bien dans le champ toponymique des groupes couverts par Pitchfork, il s’agit en réalité… d’un restaurant itinérant. Non, d’un label. En fait les deux. D’abord résidents du Point Éphémère et désormais fixés à l’EP7 – “what ? Rive gauche” s’écrient en choeur 90% du public du Pitchfork -, les cuistots-zikos d’Animal Kitchen savent en tout cas nous nourrir.
La seule constante de ce festival entre jeudi et samedi aura été pour moi ceci : un croque monsieur et des frites de patates douce somptueux.
2. The Voidz époustouflants
Parlons vraiment musique ! Et surprise.
Le dernier souvenir que j’avais de The Voidz était pour le moins… humide. En 2015 à We Love Green, Julian Casablancas et sa troupe s’étaient produits sous des TROMBES d’eau. Dans un bordel sans nom, au son catastrophique, un légendaire Human Sadness avait sauvé la journée. De quoi suffire à m’intriguer.
C’était tout autre chose jeudi à la Grande Halle de La Villette. Sur des percussions mates aux peaux tendues, qui claquent, de grosses lignes de basse bien crasses et des riffs de guitare à la saturation typique The Strokes se déchaînent. La voix de Julian Casablancas est proche de la perfection, qu’elle soit au naturel, ou déformée, vocodée, robotique. On sent même le groove, les divinités de la funk par moment, auxquelles la maîtrise des contretemps confère un aspect presque surréel. Qu’est-ce qu’on écoute là au juste?
De la rage pure. Mais de la rage mélodique. Le rythme, le tempo s’accélèrent. De gros solos de guitare bien saturés font s’échapper les dernières pensées qui me restaient, et ma tête s’emplit de sons synthétiques, de thèmes répétitifs. Comme je kiffe.
« People say that some guys are all about lalalala… sex… lalalala. It’s inaccurate, it’s actually all guys, 1000% of them. »
Après m’avoir fait rire dans ma barbe que je n’ai pas, Julian prend sa voix robotisée à l’extrême, et initie le plus beau morceau de ce set, Pointlessness. Le début du morceau sur des synthés lent et la phrase introductive « I think I’m wasted but I’m ready, I think that I’m ready but I’m wasted » nous divisent en deux. Une dualité – y compris rythmique et d’octaves qui se mélangent – qui nous suit jusqu’à la fin du morceau.
I’ll make out with the first guy who gets to me
Si ça peut te faire continuer de composer des morceaux aussi sublimes, Julian.
Intermède sociologique / psychologique : il est intéressant de remarquer qu’entre 2015 et 2018, Julian Casablancas+The Voidz est devenu… The Voidz tout court. On peut aisément déduire l’évolution psychique et mentale de Julian, passé de The Strokes (individualité mêlée dans un collectif ultra-talentueux) à Julian Casblancas+The Voidz (leader accompagnée de musiciens) à The Voidz (en réalité, rien à battre d’être le leader, je veux un concept fort). J’ai tout bon Sigmund ?
Intermède flashback : j’ai délibérément décidé de ne pas parler du concert de l’OVNI new wave John Maus, pour la simple et bonne raison qu’il a joué accompagné d’une… bande-son. Je n’ai donc pas pu accrocher pleinement au live, et ce malgré ses hurlements zombiques très à propos au voisinage d’Halloween. L’intensité est tout de même montée peu à peu. Un simple échauffement ?
3. Mac DeMarco toujours là
Au contraire de The Voidz, Mac DeMarco n’était pas une surprise. Après avoir vu le Mac au Sziget 2017 et à Berkeley, on savait à quoi s’attendre, et le Canadien n’a pas déçu.
Débutant sur On The Level, puis assez rapidement This Old Dog, le dernier opus du maître du lo-fi était à l’honneur.
Avec sa voix au top malgré la quantité incommensurable de cigarettes qu’il fume à chaque show, Mac DeMarco séduit les foules, tenant son rôle de headliner à la perfection. Avec tous ses potes sur scène comme à son habitude, il invite même le bus driver Mathis à le rejoindre. Ne sachant pas où se mettre, il reçoit cependant une belle déclaration d’amour :
We love you Mathis, today and forever
Enchaînant sur My Old Man puis Ode To Viceroy, Mac DeMarco réunit toutes les générations avec sa musique en fait très accessible. Avec One More Love Song, on a l’impression d’entendre la B.O. de Merry Christmas Mr Lawrence / Furyo de Ryuichi Sakamoto.
En sortant de la Grande Halle de La Villette, on se demande ce que Mac DeMarco nous prépare pour son prochain album. De nouveaux ces belles inspirations japonisantes ? Ou tout à fait autre chose ?
4. Unknown Mortal Orchestra multi-facettes
Le samedi, me réveillant aux aurores comme d’habitude, je rate évidemment le psych-blues-rock de Michael Rault, la douce indie pop de Snail Mail et le lo-fi Stephen Malkmus & The Kicks, soit les trois groupes et artistes indés émergents les plus intéressants de la programmation. Oh oui je m’en veux. J’ai mis des liens sur leurs noms que vous puissiez aller les découvrir quand même, et ne pâtissiez pas trop de mon incompétence.
J’ai quand même pu voir Unknown Mortal Orchestra, pour la deuxième fois après le Desert Daze Festival. Mélangeant toujours les influences entre rock psychédélique, funk groovy, bass soul, indie, lo-fi, les UMO sont de véritables UFO. Rien qu’à la manière qu’a Ruban Nielson de hacher son chant en accordance avec le jeu de synthé, on sait qu’on a affaire à un groupe unique.
Le groove à la basse répond aux gros riffs de guitare, souvent distordus. Ovnis, on vous a dit. Le moment que l’on retiendra le plus du show est sans aucun doute Multi-Love. Toutes les identités se mêlent, en communion avec les spectateurs, tandis que le chant nous transcende.
5. Bon Iver : vocoder, saxo, respect
Virage à 360 degrés pour assister sur l’autre scène au très attendu concert de 1h30 de Bon Iver. J’ai du mal à me frayer un chemin dans la foule et suis contraint d’y assister d’assez loin, sans mes lunettes, avec ma myopie. Après tout, la musique c’est fait pour être écouté avant tout. Pas vrai ?
Et tant mieux, car la voix de Justin Vernon est tout bonnement incroyable et ce dès le premier morceau 715 – CR∑∑KS, a cappella au vocoder, qui n’est pas sans rappeler le Hide and Seek de Imogen Heap.
Sur les morceaux plus folk, on entend parfois des intonations à la Bruce Springsteen période Nebraska, où le poids aurait été mis sur les échos. Comme sur Heavenly Father par exemple, dont la belle et douce mélodie m’a marqué jusqu’à la fin de la soirée. Certains très beaux solos de guitare font ressortir certains morceaux en particulier, comme le très beau et planant Calgary.
Le saxophone, joué à la perfection, apporte une dimension très particulière, un véritable supplément d’âme, surtout lorsque, mêlé au piano, on pouvait parfois penser à Supertramp des premiers albums.
On sent que Justin Vernon ne sent pas la pression de jouer ses classiques, ce que lui permet aujourd’hui sa large discographie. Face à lui, des milliers de personnes ébahies respectent ses créations musicales, surpris à chaque morceau, comme avec l’inventif et très particulier 22 (OVER S∞∞N) qui clôture le concert.
Le mot de la fin
Malgré une participation discontinue de ma part, ce Pitchfork Music Festival Paris 2018 a offert 5 magnifiques moments. De quoi nous mettre en haleine pour la prochaine édition à laquelle nous assisterons, bien entendu, en long et en large.