Trop peu connue outre Atlantique (à tort !), la ballade American Pie de Don McLean a cependant été le top des ventes US en 1972. Cette première chanson de l’album éponyme de 1971 – que nous conseillons grandement aux âmes paisibles amatrices de folk et de sérénité, qui apprécieront notamment Vincent, mélancolique hommage au génie de Van Gogh – est une rétrospective riche en références portée par une mélodie agréable.
Une mélancolique ballade folk
Quelques accords de piano, une voix douce rappelant celle de Art Garfunkel, viennent ensuite une guitare acoustique au son pur, dont la rythmique est appuyée par une batterie sans fioriture… Voici les ingrédients suffisants pour nous transporter dans l’univers folk américain. Mais Don McLean se distingue par sa capacité à faire durer le plaisir : huit minutes et vingt-sept secondes ! Que celui qui pensait pouvoir écouter jusqu’au bout une ballade folk aussi longue (et sans solo de guitare !) sans s’ennuyer me jette la première pierre. McLean sait nous captiver et à sa septième répétition, le refrain ne nous lasse toujours pas… C’est même plutôt l’inverse, quand on achève ce poème folk pour la première fois on s’empresse de réécouter les premiers vers que l’on a déjà presque oubliés.
Ce qui marque dans cette chanson c’est sa légèreté, sa simplicité, non sans un brin de mélancolie. Il s’agit là de la chanson idéale pour un dimanche d’été, lorsque l’on se perd dans ses pensées, vautré dans un hamac à regarder les fleurs, entre mélancolie et joie, entre nostalgie et fainéantise. Cette impression coïncide avec ce que McLean dira lui-même de son morceau : c’est une chanson de désespoir paradoxalement pleine d’espoir (bien qu’il faille s’intéresser aux paroles pour en comprendre davantage).
Avis aux spécialistes des reprises, nous vous épargnons ce massacre et vous assurons qu’elles ne gagnent (absolument) pas à être connues (Claude François en 1972 et Madonna en 2000).
Un poème folko-réac, really?
American Pie de Don McLean n’est cependant pas qu’une ballade folk. Si l’on y regarde plus près, on s’aperçoit qu’il s’agit d’une chanson autobiographique, et si l’on se concentre encore un peu (faites un effort), on y découvre bien plus encore… Cette chanson est un florilège de références à ce que l’on peut appeler le tournant des Sixties, à ce qui a bouleversé la création artistique dans le domaine musical (c’est arrivé, Dieu merci !). Bien qu’il semble regretter la légèreté des années 50 et s’être morfondu dans les obscures et amorales Sixties, le bilan que McLean établit en 1971 fait appel à des icônes ‘incontournables’…
Il faut savoir que les paroles de cette chanson sont depuis 1971 sujettes à diverses interprétations. Elles agitent les fans, ont donné naissance à de multiples spéculations et Don McLean n’a jamais tenu à les éclaircir. Ceci explique, en partie, la vente (aux enchères) du manuscrit original pour 1,2 millions de dollars en avril dernier.
Bref rappel du contexte de American Pie
Les Fifties
L’Amérique est paisible et satisfaite, la société est portée par la famille, la tradition et un American Dream qui fonctionne encore, le conformisme est roi et le paysage musical est dominé par le tout puissant rock’n’roll d’Elvis.
Les Sixties
Plus question de regarder derrière, il faut tout renverser pour aller de l’avant, pour progresser ! L’agitation et la contestation règnent au nom de l’égalité, de la liberté, de la paix et de l’amour. La jeunesse se construit par ses mœurs libérées, sa sexualité débridée, son attrait pour les psychotropes et les vêtements colorés. Musicalement ce sont des icônes créatrices qui s’imposent et incarnent cette révolution.
McLean commence par poser le décor : il nous parle du passé, de son passé, d’un jour qui a transformé son existence, du jour où la musique est morte… But what the hell is he talking about? Tentons de répondre à cette question à travers quelques références.
‘The day the music died’
C’est une référence au crash d’avion du mardi 3 février 1959 dans lequel périssent trois figures majeures du rock’n’roll : Buddy Holly (tout particulièrement adoré par McLean), Ritchie Valens et The Big Bopper. C’est la catastrophe pour Donald (prénom complet de Don McLean qui avait 13 ans au moment des faits) ! En effet, pour lui cet événement a mis fin à l’Âge d’or du rock’n’roll qui le faisait sourire et rendait l’Amérique heureuse. Les Fifties sont ce passé tant regretté, cette période d’insouciance que Don McLean, le nostalgique, aimerait retrouver, mais désormais rien ne sera plus comme avant…
‘The jester’
C’est après ce crash d’avion que les fauteurs de troubles sortent de l’ombre, le premier n’est autre que Bob Dylan, il serait pour McLean le fer de lance de la rébellion qui a renversé l’ordre ancien (« king and queen ») du rock’n’roll (de feu Buddy Holly) au début des années 60.
The Beatles
Vient alors l’allusion au quatuor britannique avec un jeu sur la quasi-homophonie Lénine-Lennon, l’évocation du « quartet », et des « sergeants » (référence au 8e album des Beatles). Ces révolutionnaires grands-bretons ont marqué l’avènement de la contreculture qui a totalement remis en cause la tradition américaine, et ce à partir de 1964 (date de leur triomphale tournée américaine).
The Rolling Stones
Don McLean fait explicitement référence aux pierres qui roulent avec leur chanson Jumpin’ Jack Flash (1968) et leur concert d’Altamont (1969). C’est le paroxysme de la révolte ! Les Stones représentent la radicalisation des revendications des Sixties et incarnent un nihilisme violent qui explose à Altamont. Au cours de ce concert les Stones font appel aux services des sympathiques Hells Angels pour maîtriser plus de 300 000 participants en transe. Tout se solde par un mort, beaucoup de drogue consommée et l’agonie de la contreculture qui semblait intouchable depuis Woodstock mais qui a péché par l’excès.
‘A girl who sang the blues’
Certains reconnaitront ici Janis Joplin, la chanteuse de blues qui est partie trop vite au goût de Donald (« but she just smiled and turned away »), mais cette allusion est sujette à débat.
American Pie comporte une multitude d’autres références et j’invite ceux qui s’y intéressent à arpenter le web et ses diverses analyses, interprétations, explications qui seront peut-être plus précises et certainement plus exactes (certains sites sont même exclusivement consacrés à l’analyse des paroles de cette chanson).
‘Bye bye miss American Pie’
J’espère que vous avez apprécié Don McLean, ce chanteur, guitariste, auteur-compositeur Américain et grand amateur de rock’n’roll qui a consacré sa vie à une carrière solo de chanteur de folk, et ce morceau doublement rétro (rétrospective d’un chanteur de folk au commencement des années 70) dans lequel il se livre à nous tout en nous confrontant au dark side des années 1960.
Si vous êtes passéiste, ‘archéopathe’ ou autre adepte du ‘c’était mieux avant‘, cette chanson est définitivement faite pour vous. Mais si ce n’est pas votre cas, j’espère que vous avez su l’apprécier car bien évidemment la musique n’est pas morte (et heureusement).
Si l’on écoutait le bon Donald, Indeflagration n’existerait pas (à quoi ressembleraient alors nos vies ? #ironie). En écoutant American Pie, il s’agit de s’évader tout en étant conscient du bouleversement des Sixties. Magnanimes nous pardonnons donc à Don McLean cette confession quelque peu dépressive parce qu’elle a le mérite de nous faire voyager, de nous parler de musique de manière insolite et, surtout, parce qu’elle s’écoute très très très bien…
Allez, bye bye !
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* le mot sexy pour « vieux »
1 comment
très belle analyse de cette magnifique chanson, que je ne connaissais pas
bravo pour votre investissement musical et intellectuel