Dans une époque où le nouveau fait loi, il faut une certaine audace – et un certain talent – pour être rétro tout en restant authentique. Un pari plus risqué qu’il n’en a l’air et gagné haut la main par Theo Lawrence & The Hearts, dont la musique suinte de blues et de soul à l’ancienne. Après un single absolument génial (Heaven To Me), le premier EP Sticky Icky du groupe français est sorti ce vendredi 25 novembre (lien d’écoute et téléchargement).
Dialogue avec le passé, pâte moderne
La première chose qui frappe lorsque l’album débute c’est la voix. Mature malgré le jeune âge du chanteur, elle qui semble sortir de vieilles enceintes qui grésillent. Le ton est donné. Soutenue par des guitare, à grand renfort de bottleneck qui donne aux mélodies une véritable souplesse, et un orgue électrique qui nous fait visiter les églises de petites villes américaines, on assiste à une sorte de dialogue avec le passé. Avec une musique qui n’est plus mais que le groupe fait revivre.
Le plus impressionnant, c’est qu‘ils ne se contentent de singer les géants du passé avec des images d’Épinal qui sentiraient le déjà-vu. Theo Lawrence & The Hearts y collent leur propre pâte de Frenchies s’imaginant vivre dans les États-Unis des années 50-70. Ils donnent ainsi un nouveau souffle à une musique moins “d’actualité” qu’auparavant, surtout en France.
Un train génial en marche
D’autre part, l’EP n’est pas qu’une simple suite de chansons. Il possède en effet une construction très élaborée, à écouter en continu. Le morceau Sticky Icky, c’est la mécanique qui se met en marche. Il est peut-être un peu léger et facile par rapport aux autres chansons, avec un riff pas forcément le comble de l’originalité et peut-être un peu répétitif.
Heureusement, Ali arrive avec un riff plus accrocheur, plus punchy et plus déstabilisant. En effet, ce 2e morceau semble comporter un temps “en plus” qui crée une sorte de pause. Mais on s’y fait assez vite. Comme souvent chez Theo Lawrence, ce couplet dynamique est contrasté avec un refrain plus éthéré, qui fait marcher la reverb et le clavier old school. Avant de laisser place à un magnifique solo en slide, où les notes peuvent glisser les unes sur les autres sans se laisser fixer.
Avec Good For Nothing, on est de nouveau dans un style plus léger, mais là encore Theo Lawrence nous surprend avec une mélodie sur une gamme pentatonique qui évoque la musique chinoise. Repris avec de plus en plus d’entrain et de nouveaux instruments qui le rendent vraiment infectieux, le morceau se termine avant que les solos ne commencent à se perdre un peu.
Made To Last est bâti sur un contraste encore plus prononcé qu’Ali. Cela lui donne un côté presque comique : une mélodie descendante un peu désespérée détonnant avec une sorte de pastiche très réussi d’Al Green empli d’arpèges, de suavité et de passion (quand le chanteur dit “till I met you“). Theo Lawrence ose même un “Brothers and Sisters” très typé afro-américain.
La nostalgie d’une musique qui n’existe plus
L’album se clôt magnifiquement sur Heavenly Dog, un très bel hommage à un chien décédé. La batterie est abandonnée cette fois au profit d’une guitare sèche seule, dans un rendu très « nu » par rapport aux chansons qui précèdent. Tout à fait approprié pour donner un accent différent à l’album, plus intimiste, avec une dimension plus country. L’orgue et la guitare slide qui viennent accompagner petit à petit la guitare acoustique parachèvent cette impression de montée au ciel.
Peut-être que pour une chanson de ce type il aurait fallu réduire le grésillement du micro qui met une certaine distance. Mais quoiqu’il en soit, Heavenly Dog apporte une vraie conclusion à Sticky Icky en faisant pointer la nostalgie qui habite finalement chacune de ses chansons. Nostalgie d’un être cher ou pour une musique qui n’existe plus.