Nous avons eu la chance d’interviewer Julien Barbagallo avant son génial concert à la Route du Rock – Collection Hiver à Saint Malo. Le batteur de Tame Impala prend en effet part avec succès à la nouvelle génération de la pop française depuis la sortie de son dernier album solo très réussi Grand Chien. Entre l’Australie et la France, entre le français et l’anglais, Barbagallo traverse les grandes plaines sans plan précis, mais avec une poésie indéniable.
| Voir aussi : le live report de son concert à la Route du Rock – Collection Hiver en février 2017
« Mon projet personnel Barbagallo passe toujours un peu entre les gouttes »
Salut Julien ! Tout d’abord, pourquoi avoir choisi Barbagallo comme nom de scène ? C’est ton nom de famille c’est ça ?
Barbagallo, c’est mon nom de famille oui. C’est surement parce que ça correspond au moment où j’ai switché de l’anglais au français. Je suis passé d’un pseudo, un nom de groupe qui était lecube (voir le Bandcamp) à mon nom de famille. Je suis passé de cette langue anglaise qui n’était pas ma langue maternelle à ma langue maternelle. C’est une forme de révélation de moi-même dans tous les sens du terme, une appropriation de ma langue, de mes textes, de ce que je suis ! Julien Barbagallo.
Aquaserge, Tame Impala, Barbagallo… Comment tu fais pour être partout à la fois et trouver le temps pour écrire et composer ?
Je n’arrive pas à être partout à la fois, justement. Aquaserge j’ai eu la chance de participer à l’enregistrement du dernier album, mais en live en revanche, je n’ai pas pu poursuivre l’aventure car j’étais trop occupé avec Tame Impala. Ça devenait impossible de concilier les deux. La rupture s’est faite naturellement. Depuis que j’ai rejoint Tame Impala, je joue de plus en plus. Et pour Aquaserge, plus ils avaient besoin de jouer et moins j’étais disponible. Pour Barbagallo, mon projet personnel, c’est un peu toujours entre les gouttes. J’enregistre quand j’ai du temps libre, entre les tournées ou pendant les tournées de Tame Impala. Ce n’est pas un rythme très structuré. Je ne me dis pas « je vais enregistrer mon album du 4 avril au 13 Mai ».
Comment ça s’est passé pour l’écriture de ton album solo Grand Chien justement ?
Un peu pareil que pour le premier, c’est à dire sur la longueur. J’ai des séries d’accord, des riffs de guitare ou des phrases qui traînent sur des papiers, et je les développe vraiment au fil des semaines, au fil des mois. Je reviens parfois après 6 mois sur des accords que j’avais notés il y a très longtemps.
Il n’y a pas d’ordre pour toi, c’est parfois la musique et parfois le texte qui vient en premier ?
Non, mais c’est quand même très souvent la musique. Je tends à essayer de faire l’inverse ! Et c’est ce que j’ai essayé de faire pour mon dernier disque. Je pars de textes et je vois comment j’arrive à construire des musiques autour, ce qui est plus difficile pour moi. Car, en général, ce qui me vient en premier ce sont des mélodies et des séries d’accords, quand je me mets à gratouiller une guitare…
Donc, si on comprend bien, il y a un nouvel album en cours pour Barbagallo ?
Oui, j’ai quelques trucs sous le coude dont j’ai fait des versions démo, et celui-ci je compte bien l’enregistrer en studio. J’ai envie de structurer l’espace et le temps pour la fabrication. Je vais essayer d’aller en studio pendant quelques jours, de poser toutes les bases. Et je vais aussi essayer de jouer enfin avec une vraie batterie, car ce n’était pas le cas pour les précédents albums, ce qui est plutôt paradoxal puisque je suis quand même batteur.
« Le fantasme : finir par abandonner la musique, pour ne laisser que le texte »
D’ailleurs, si tu étais forcé de choisir entre la plume, le micro ou la batterie, quel serait ton choix ?
La plume je pense. C’est un truc, à ce moment précis de ma vie, que j’aimerais vraiment arriver à faire. Finir par abandonner la musique, pour ne laisser que le texte. J’aimerais partir dans le littéraire pur. C’est un fantasme absolu puisque je ne fais rien pour ça. Je n’écris pas, je ne m’entraine pas à écrire.
À propos de l’écriture, penses-tu que, comme certaines figures de la chanson française telles que Brel ou Brassens ou des plus jeunes – Alex Beaupain, Pierre Lapointe – tes textes pourraient être détachés de leur accompagnement musical et exister comme une œuvre à part entière ? Ou bien penses-tu que la magie opère dans la communion entre les deux, qu’ils sont indissociables ?
C’est à tiroir car ce que tu dis c’est mon objectif premier. L’idée c’est que les textes puissent devenir indépendants de leur musique. S’ils étaient dans un bouquin il faudrait qu’on puisse les recevoir à 100%, sans musique. Ensuite, quand je les confronte à la musique c’est un nouveau challenge. Il faut arriver à les faire coller à des mélodies qui seront plus facile d’accès. J’essaye d’arriver à mixer le côté accessible de la musique pop et ce que je crois être une forme d’exigence avec les textes. J’ai juste envie de rendre les choses un peu exigeantes littérairement, tout en étant « cool ». Qu’on puisse les écouter sans tomber dans un truc trop cérébral, grandiloquent.
Est-ce que tu as une chanson dont tu es particulièrement fier, une chanson où en la terminant tu t’es dit « Wah, celle-là, c’est la bonne ! » ?
Non je ne pense pas… Ça peut paraitre un peu prétentieux mais ce contrôle qualité, j’essaye de l’avoir pour chacune de mes chansons. Je ne vais mettre un bouche-trou dans un album. À chaque fois que je boucle une chanson j’essaye d’avoir ce sentiment là, celui d’avoir fait « la chanson du disque ».
Si t’avais le pouvoir de ramener un musicien d’entre les morts juste le temps d’un duo, qui choisirais-tu ?
Hmm je ne sais pas … John Coltrane peut-être ?
Avec un gros solo de free jazz et un duo batterie sax !
Dans un style assez différent, est-ce que tu as un album préféré des Beatles ?
J’ai une face préférée des Beatles. La face B de Abbey Road. C’est un peu mon lustre.
Il n’y a pas longtemps, j’ai réécouté Revolver et je me suis dit que c’était le meilleur, après j’ai réécouté Rubber Soul et je me suis dit que c’était en fait lui le meilleur puis Let It Be et je me suis dit « non mais c’est celui-là le meilleur en fait ». Bref ça change tout le temps. Mais c’est aussi ça les Beatles, tu peux les écouter toute ta vie, les faire écouter à tes gosses, tu ne t’en lasses jamais !
« Tame Impala et les Australiens, c’est un peu l’amour vache »
Est-ce que le public Australien est très différent du public Français ?
Je pense qu’on est un peu plus calme en France. On est un peu plus cérébral, un peu moins démonstratif sans doute. Là-bas, ça picole vachement, c’est vraiment la fiesta, surtout dans les festivals. Ici j’ai l’impression que ça s’est vachement tamisé, c’est un peu plus familial, c’est plus contenu, un peu moins gros lynchage. En Australie, ils ont cette culture de se dénigrer les uns les autres. Ils pourront toujours se foutre de ta gueule et inversement, mais c’est amical. Ils ne se prennent pas vraiment au sérieux. Tame Impala par exemple, c’est un des rares groupe australiens à avoir vraiment bien réussi à l’étranger, du coup quand ils reviennent chez eux, les gens leur ressortent : « on était au bahut ensemble, tu vas pas me la faire ». C’est un peu l’amour vache.
C’est quoi ton souvenir de scène le plus fou, un festival ou un concert magique ?
Récemment on a fait Glastonbury. On a joué sur la grande scène juste avant Adèle. Il y avait une marée de monde.
La pression ?
Pas tant que ça. Plus c’est grand, moins on a la pression bizarrement. Visuellement c’était une expérience assez incroyable. Il devait y avoir 100000 personnes. C’était le pic de la fréquentation de la grande scène. Mais je crois que j’ai plus le trac sur les petites scènes. Les festivals ont quelque chose de très impersonnel. On sait bien que 80% ne sont pas venus pour toi, mais bon, c’est un festival, donc ils sont là. C’est pas la même attente que lorsqu’on a fait le Radio City Hall à New York par exemple, qui est une salle prestigieuse, avec un groupe de personnes qui est là que pour toi, où il y a un faisceau d’attention qui n’existe pas en festival. Dans le festival il devait y avoir les 15 premiers rangs qui étaient là pour Adèle, les 15 suivants pour Tame Impala et tout le reste qui n’en avait rien à foutre [rires]. Non j’exagère, mais c’est l’idée. Mais ça, c’était vraiment un très bon souvenir de l’année dernière.
Il y a eu globalement tellement de grandes découvertes pendant cette période. L’Amérique du Sud, par exemple, ça a été une expérience incroyable. Des salles super belles, des pays où tu n’es jamais allé, des gens que tu n’as jamais rencontrés…
« Le fait d’être très loin de la France m’a permis d’enlever plein de barrières »
Y a t-il des pays, justement, que tu as pour objectif d’aller visiter prochainement pour tenter d’y puiser l’inspiration ? On a l’impression que tu t’inspires beaucoup des lieux dans lesquels tu te trouves, lorsqu’on écoute tes chansons ou que l’on regarde tes clips.
Oui, ce sont des choses qui vivent en moi de manière assez importante, mais je n’essaye pas de relater ça dans mes chansons. On me dit parfois « ça ressemble un peu à un carnet de voyage » et c’est marrant parce qu’au fond je n’essaye pas vraiment de parler de ça, mais ce sont des choses que je porte en moi très fort. J’imagine que ça finit par ressortir d’une manière ou d’une autre.
Mais ça m’intéresserait d’aller écrire ailleurs, comme je l’ai fait pour l’Australie pour mes premiers disques. Le fait d’être très loin de la France ça m’a vraiment lancé, m’a permis d’enlever plein de barrières. Peut-être qu’il faudrait que j’aille dans un ailleurs pour écrire de nouvelles chansons. J’adore aller en Sicile par exemple et j’adorerais y composer des choses, pour voir.
Quelle importance accordes-tu à tes clips ?
La plupart ont été réalisé par une amie à moi. C’est marrant mais on se retrouve toujours à l’extérieur, sauf un qui a été fait à l’intérieur. L’air est très important pour moi, les chansons ont quelque chose de confiné, qu’on peut presque tenir entre nos mains. Ça permet d’oxygéner un peu tout ça. Si la musique appelle des images, il faut peut-être aller puiser ces images que tu veux voir accompagner ta musique. Chez moi, ce sont des images aériennes où l’on voit beaucoup de ciel et de Nature, ça me parle.
« Comme deux cultures qui viennent s’entremêler »
Nous on adore ta chanson Le Nouveau Sidobre, de quoi parle t-elle exactement ?
Est-ce une chanson d’amour ? Une ôde à la Nature ?
Oui, c’est une déclaration d’amour à différents niveaux. C’est un amour qui nait entre le narrateur et une femme et aussi l’amour d’un pays qu’on connaît bien, celui d’où l’on vient. Ici en l’occurrence c’est la région du Tarn, le Sidobre étant les contreforts du Massif Central, qui est un chaos de granite mélangé à de la foret, région où je suis né, où j’ai grandi. C’est une déclaration d’amour à tout ça, et aussi à des nouveaux territoires que l’on découvre, qu’on trouve magique. Ici des territoires Australiens qui ressemblent au Nouveau Mexique avec de grands cactus et composés de grands massifs graniteux et qui me faisaient justement penser au Sidobre. Ma femme étant justement Australienne, ça parle un peu de 2 cultures qui viennent s’entremêler. Le tout englobé dans une histoire d’amour.
[soundcloud url=”https://api.soundcloud.com/tracks/281122021″ params=”auto_play=false&hide_related=false&show_comments=true&show_user=true&show_reposts=false&visual=true” width=”100%” height=”300″ iframe=”true” /]
Une autre histoire d’amour, celle avec la musique. Quand a t-elle commencé ? Depuis tout petit ?
Oui, très très tôt, quand j’étais tout môme ! Quand j’avais 5 ans, je tapais tout le temps sur des boites de petit beurre en fer blanc ou des casseroles et je tapais comme un taré ! Je ne sais pas d’où m’était venu cette idée, cette envie, mais il a du y avoir un déclic à un moment. J’ai commencé la batterie à 9 ans puis je n’ai jamais arrêté. Je me suis spécialisé et j’ai appris le reste à côté – piano, guitare – de manière autodidacte, quand j’étais ado et jusqu’à aujourd’hui encore.
« J’ai toujours l’impression d’écrire ma première chanson »
L’écriture est donc venue plus tard ?
Quand j’étais ado, pareil. J’étais, comme tous les ados, obsédé par des groupes comme Oasis puis plus tard les Teenage Fanclub par exemple. J’adorais écouter de la musique et je me suis dit qu’il fallait que je me mette à écrire. Tu fais comme tu peux au début. C’est un territoire inconnu dans lequel tu te lances et c’est aussi ça qui est marrant. J’ai l’impression que c’est à chaque fois la première chanson que j’écris. On remet à chaque fois les compteurs à zéro. Pour toi il faut que ce soit une sensation de fraicheur, de primeur à chaque fois. Sinon ça ne me semble pas très intéressant.
Tu aimes bien planifier les choses ou tu préfères ne pas trop savoir à l’avance où tu seras demain ?
J’ai jamais rien su et c’est très bien comme ça. J’ai peut-être aujourd’hui un peu plus de deadlines à respecter parce que je travaille avec des labels et j’essaye de m’adapter, car il y a des calendriers qui ne dépendent pas que de moi. Mais sur le moyen et long terme, j’ai essayé de ne jamais rien planifier, et jusqu’à présent il ne m’est arrivé que des trucs cools. Donc j’essaye de continuer sur cette voie. C’est assez relaxant de vivre comme ça.
Il y a quelques dates prévues pour Barbagallo en France cet été ?
Oui il y a les Francofolies notamment ! On a le Yeah Festival à Lourmarin, un super petit festival, dans un cadre magnifique, avec des chouettes programmations.Tout ça se met doucement en place.
Puisque ton dernier album avait quelque chose de Moyenâgeux, tu n’as pas pensé à te joindre au Festival Interceltique à Lorient ?
Ça aurait été pas mal, ça aurait été marrant de mettre un peu de pop dans tout ça. J’ai le projet dans ma tête de faire un album qui marierait mes influences pop, genre Beach Boys, avec une instrumentation très traditionnel. Prendre des textures dont on ne trouve aucune trace dans la pop et essayer de faire quelque chose avec ça !
Pour aller plus loin avec Julien Barbagallo, le live report de son concert à La Route du Rock – Collection Hiver en février dernier et celui de son set à Rock en Seine quelques mois plus tard