Invitation to the Blues de Tom Waits s’ouvre sur des accords de piano mélancoliques, la descente chromatique de la basse enfonçant l’ambiance demi-ton par demi-ton dans la solitude. L’histoire qu’elle raconte est tout à fait banale : un type s’amourache d’une serveuse au comptoir d’un troquet quelconque. On note que la chanson est à la deuxième personne, comme si celui qui l’écoute était invité à y participer, lui aussi.
L’alternance des récits
La description du premier couplet est presque caricaturalement quotidienne : elle est là, avec son tablier et sa spatule, détails qui contrastent avec une certaine “noblesse” dans l’instrumentation. Puis, tout d’un coup, des cordes surgissent, la basse arrête de descendre dans les obscures profondeurs du piano et la chanson sort brusquement de sa tonalité moribonde : le personnage s’imagine en James Cagney, et imagine la serveuse en Rita Hayworth. Le caractère somptueux de l’orchestration rehausse cette impression de glamour artificiel que le personnage colle sur la serveuse et sur lui-même.
Puis on revient à la réalité, dans une retombée comique : la serveuse lui demande juste « tu les veux comment, au plat ou brouillés ? » Et la chanson n’aura de cesse d’alterner entre un refrain fantasmé, où le protagoniste reconstruit son passé de toutes pièces, et un couplet qui dépeint une réalité bien plus prosaïque. Comme dans un tableau de Hopper (rappelons que l’album précédent de Tom Waits s’appelait Nighthawks at the Diner, Nighthawks étant le titre d’un des tableaux les plus connus de Hopper), on ne voit les êtres qu’en surface, dans un lieu par définition transitoire, empreint d’une sorte de poésie glauque (un motel, un diner…). On ne peut s’empêcher de leur inventer un vie à partir des signes qu’ils laissent transparaître. Le protagoniste aussi nous livre quelques informations sur lui-même, et nous assure que la vieille carcasse en lutte contre la boisson qu’il était, n’existe plus.
L’heure est donc à la renaissance. À la fin de Invitation to the Blues, le narrateur se demande s’il ne devrait pas rester dans cette ville, rien que pour venir manger ici tous les soirs. Après tout, la station service cherche du monde.
Chaque mardi, retrouve un morceau rétro* sélectionné avec soin, décortiqué et partagé sur Indeflagration pour le délice de vos oreilles en quête de souvenir ou de fuite du temps présent. Tout cela afin de tenter de fusionner les époques par la musique.
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* le mot sexy pour « vieux »