Ben Bridwell (leader de Band of Horses) commence par nous dire qu’il s’agit de la toute dernière interview de la tournée de promotion du nouvel opus du groupe. Qu’il est en conséquence très heureux et soulagé de pouvoir arrêter de parler de lui. Un bon début ! Nous espérons alors parvenir à tenir la distance…
Votre nouvel album Why Are You OK sort en juin. Comment te sens-tu à cette idée ?
C’est très excitant. Je suis très heureux que ce soit enfin quelque chose. Je travaille dessus depuis presque toujours, encore plus longtemps pour certaines des chansons, deux existences complètes [rires]. C’est un soulagement d’être arrivé au bout de cet album, mais aussi excitant de penser à ce qui va suivre.
Avez-vous prévu une tournée pour cet album ?
Oui, partout où les gens voudront nous voir. Nous commencerons par les festivals puis reviendrons en Europe pour une tournée en tête d’affiche… Et à Paris bien sûr !
Quelques mots sur votre formation actuelle ? Vous avez eu une tripotée de musiciens à vos côtés toutes ces années…
Nous nous sommes en réalités consolidés autour de 5 musiciens. Le “new guy” est là depuis 5 ans. On ne l’appelle toujours pas par son prénom, c’est le “new guy” [rires]. Je plaisante. Nous sommes cette famille depuis un certain temps maintenant.
Depuis le premier gros succès de Band of Horses il y a 10 ans, le groupe a-t-il connu de gros changements dans son instrumentation ?
Différents musiciens toutes ces années… J’ai adoré travailler avec eux tous, ils ont réussi à rendre plus grandes et belles des chansons qui sonnaient bizarrement quand je les jouais seul.
Tu composes donc toutes les chansons seul ?
Oui tout à fait.
À l’aide de quel instrument ? Guitare ? Piano ?
À peu près tout et n’importe quoi. Je suis aussi mauvais à chacun de ces instruments [rires]. J’utilise principalement la guitare mais j’ai chez moi toutes ces choses que je collectionne, comme des claviers, alors que… Je suis un épouvantable joueur de piano ! Je les choisis pour leurs textures et sons uniques, que j’aime utiliser pour composer, rechercher une mélodie et la laisser grandir.
Tu commences par la mélodie ou les paroles ? Quel est ton secret ?
Parfois, cela commence simplement avec une partie instrumentale avec laquelle j’essaie de construire une mélodie. Et je dis n’importe quoi par-dessus, des choses qui n’ont pas de sens, juste pour trouver le rythme et comment approcher la partie chantée. D’autres fois… Il y a une chanson sur cet album qui est parti d’une sorte d’exercice. J’avais déjà le thème des paroles avant de savoir ce que le morceau allait donner. Je voulais simplement voir si je pouvais embêter les gens dans la foule, au sein de leurs relations… Leur demander : « êtes vous vraiment amoureux ? ». Le morceau s’appelle Hag, et je ne sais pas si j’ai atteint mon objectif initial. Il n’y a pas de règle quand je compose en réalité.
Hag, issu de Why Are You Ok (2016), le nouvel album de Band of Horses
Quels sont les thèmes principaux des chansons que tu écris ?
Oh, ils changent en permanence. Mes morceaux reflètent – je l’espère – l’état d’esprit dans lequel je me trouve à l’instant t ou ce dont j’ai envie qu’ils “parlent”. Aujourd’hui, ceux-ci viennent vraiment naturellement, liés par un fil commun.
Un acte de rééquilibrage est important dans les textures musicales. L’ajustement principal que j’essaie d’apporter est sans doute le fait, d’un côté de voyager avec un groupe de rock, avec sans arrêt quelqu’un me demandant si je veux une bière ou autre chose [rires], et ensuite rentrer chez moi, retrouver ma femme et mes 4 filles. À peine la porte ouverte, je dois me mettre au travail, redevenir un serviteur de ma famille. J’ai vraiment les deux côtés de la médaille sur ce point. C’est une idée importante et nourricière de ce nouvel album.
Changeons complètement de sujet. Quel est ton festival préféré ?
Bonne question… Difficile de donner une réponse absolue, il y a tellement de caractéristiques différentes. Les meilleurs éléments qui rendent un festival excitant sont le fait de pouvoir aller voir d’autres groupes sans être trop restreints à rester dans sa loge. On se retrouve un peu confinés autrement, dans l’incapacité de parler avec les autres groupes. On a envie de sentir la ferveur des fans, être libres dans ces moments, vivre la même expérience que les spectateurs.
Une année, nous avons fait Rock Werchter, le line up était tellement fabuleux, je voulais voir ce groupe, ce groupe, et puis ce groupe aussi ! Ces festivals sont toujours géniaux, il y en a tellement d’incroyables.
Autre chose que j’adore : quand les festivals ont lieu en extérieur, dans un environnement naturel qui ne véhicule pas un sentiment d’être dans une ville. Jouer dans les bois par exemple, c’est fabuleux, c’est comme jouer sur sa propre île. J’adore ce sentiment.
Whatever, Wherever sur Why Are You OK (Band of Horses, 2016)
On a le sentiment que tu mets beaucoup de toi même dans tes morceaux. Tu aimes délivrer/divulguer tout de toi même quand tu écris ?
Très bonne question. Il y a également un acte d’ajustement ici. Je pense que je me suis un peu perdu à essayer désespérément de masquer des choses personnelles. J’essayais d’user de mots intelligents, de métaphores. Et j’en suis arrivé à un point où je me suis dit que j’en avais trop fait, qu’il ne fallait plus que je parle en “code”… Je voulais revenir au concept et à son essence. En réalité, je devenais confus, je ne parvenais pas à terminer une idée parce que j’étais trop occupé à essayer de cacher ce que je ressentais. Je devais me permettre de raconter une histoire.
C’est une importante leçon que j’ai retenue de cet album. Que quand j’avais le bloquage de l’écrivain, quand je me perdais un peu dans le processus d’écriture, je devais être plus simple et plus honnête. Simplement dire les choses sans avoir peur des répercussions de personnes jouant un rôle dans ce que j’écrivais et qui pouvaient le comprendre, penser « oh, c’est à propos de moi ». Je m’inquiétais trop de cela.
Quelles sont les caractéristiques principales qui font de Why Are You OK un album différent des précédents ?
Intéressant… Beaucoup des joueurs sont toujours les mêmes, le jeu a changé mais les joueurs sont toujours là. J’ai 2 enfants de plus que lors de la sortie du dernier album, 4 filles aujourd’hui [rires]. Beaucoup de choses ont changé dans ma vie, ainsi que les perspectives. Les membres de la famille sont toujours là mais il y a une sorte de retour brutal à la vie de banlieue, à cette double vie que je mène et dont je parlais tout à l’heure. Vivre comme un roi, vivre comme un serviteur. La première chanson de l’album, Casual Party, parle de cela, du fait de devoir aller à un dîner nul à ch*er. Je n’ai pas à faire ça dans mon autre vie, pourquoi dois-je le faire maintenant ? Bon sang… Je ne veux pas manger avec ces satanés conservateurs, ces personnes qui partagent tous ces points de vue. On se sent maussade et misérable à la fois. Mais un équilibre se forme dans ce genre de situations : on ne peut pas toujours avoir ce que l’on veut, tout le temps.
Casual Party, issu de Why Are You OK (Band of Horses, 2016)
Comment avez-vous géré le succès du 1er album de Band of Horses, celui de The Funeral ?
On vient juste de célébrer ses 10 ans, c’est complètement fou…
Pour moi aussi, j’étais petit quand il est sorti.
Oui… La vie, c’est presque fini [rires] Non non. Je me souviens avoir senti les choses bien plus intensément lorsque je travaillais sur le 2e album, avec tout le succès qu’on avait eu, notamment avec The Funeral. J’essayais principalement d’attirer une nouvelle fois les gens vers notre musique. Je n’ai pas de formule magique pour créer toutes mes chansons comme The Funeral, c’est plus comme un jeu vidéo pour moi, un challenge excitant. Des pressions existent, c’est certain. Les gens attendent toujours quelque chose d’un nouvel album de Band of Horses. On ne veut pas trahir qui que ce soit, mais je ne veux pas y penser quand j’écris. Ça ne pend pas au-dessus de ma tête au moment où je compose quelque chose de nouveau. Cela influencerait ma manière d’écrire et m’emmènerait sans doute dans de mauvaises directions, des chemins qui me feraient me sentir malhonnête. Les attentes m’affectent, bien entendu, mais peut être que je ne me rends pas encore exactement de quelle façon.
Pourquoi le nom ‘Band of Horses’ ? Penses-tu que ce nom est toujours aussi adéquat pour décrire le groupe qu’il ne l’était il y a 10-12 ans ?
Intéressant… Cela l’est tout à fait en effet. J’avais appelé le groupe Horses au départ.
À cause de l’album de Patti Smith ?
Non. J’adore cet album, John Cale l’a produit, mais non ça ne vient pas de cela. Nous dormions à la belle étoile quand j’ai bougé de Caroline du Sud à Seattle, sans toit. J’ai trouvé un boulot dans un café, je dormais dans des endroits où je pouvais être volé ou tué (l’Amérique quoi). C’était une vie totalement bancale… Et j’écoutais cette chanson appelée Horses de Will Oldham.
Les premières paroles de la chanson sont : « I’d be riding horses if they let me, sleep outside at night and not take fright » [Je monterai des chevaux s’ils me le permettent, dormirais dehors le soir sans effroi]. C’était comme un nouveau mantra pour moi quand j’allais me coucher le soir, mon casque sur les oreilles. J’y trouvais du réconfort, et surtout je voulais me souvenir de ce sentiment quand j’ai débuté avec le groupe. Je voulais me souvenir de l’état d’humilité absolue dans lequel je me trouvais quand tout a démarré. Le nom Band of Horses est plus que jamais adéquat aujourd’hui. Je n’y pense pas chaque jour, parce que je ne suis pas naturellement une personne très démonstrative. Je suis très terre-à-terre. Mais cette vie que j’ai eu joue toujours un grand rôle dans tout ce que je fais. Nous sommes tellement reconnaissants de tout ce qui nous arrive, pouvoir vivre de ce que l’on préfère le plus au monde : la musique.
Nous sommes de grands fans du label qui vous a rendus célèbres, Sub Pop. Avez-vous eu l’occasion de collaborer et rencontrer d’autres artistes du label ?
J’ai commencé avec mon propre label et j’avais un ami extrêmement talentueux. Je me suis dit : “Je vais complètement gâcher tout ça”, donc je l’ai envoyé chez Sub Pop [rires]. J’avais l’impression d’avoir fait mon job de cette manière. Quand j’ai débuté l’aventure Band of Horses, il (Iron & Wine) m’a présenté chez Sub Pop, ce qui est d’autant plus amusant que nous venons tous les deux de villes de misère en Caroline du Sud. Nous ne pouvions venir de plus loin de Seattle.
Mais tout le temps que j’ai été chez Sub Pop, j’ai rencontré d’autres artistes. L’une d’entre elles joue de la batterie sur le premier album de Band of Horses et nous avons fait la tournée ensemble. Elle chante également sur le nouveau Band of Horses. On rencontrait les autres artistes en festival etc., mais ce n’est pas trop comme des fêtes de boulot. Ces personnes viennent du monde entier.
Donc je dirais : pas autant que vous l’imagineriez. Mais nous avons tous bénéficié de la vibe autour de Sub Pop, avec The Shins, Iron & Wine. C’était comme une équipe pour laquelle nous jouions.
Tu écoutes toujours beaucoup de musique ?
Oui, énormément, toujours. Je suis un consommateur vorace, toujours à chercher de nouvelles choses, qu’elles soient nouvelles ou plus anciennes. Tu sais, je n’ai pas encore eu ma véritable ‘expérience Pink Floyd’, je l’attends toujours, en lui laissant du temps.
Pour ce qui est des groupes contemporains que j’écoute… Lorsque je composais ce nouvel album, sans doute pour m’éloigner un peu des guitares, de l’indie rock, des merdes de blancs [rires], je me suis mis à écouter plus de hip hop. Je devais écouter quelque chose de différent et je me suis véritablement plongé dans le hip hop : Big K.R.I.T.
Et des albums plus récents de Rory, Kevin Gates, Vince Staples, Kendrick Lamar (en particulier Good Kid, M.A.A.D City, un album très important pour nous quand on faisait ce nouvel album).
C’était enrichissant, cela repoussait les limites que nous avions avec les guitares et le rock’n’roll. Toutes ces choses nouvelles, c’était génial.
As-tu un album préféré des Beatles ? Et de David Bowie ?
Wow, pas facile. Pour Bowie c’est simple, je dirais Hunky Dory. Je l’écoute encore tout le temps, il me semble encore si ‘frais’. Mais j’aime le challenge de devoir choisir un album des Beatles… Je pense que ce serait… Je veux tellement dire Rubber Soul, juste parce que c’était une transition, de quelque chose de solide et sûr à l’envol du rock’n’roll vers un tout nouveau royaume. Pour ce que cet album a apporté, je dois définitivement le choisir. Rubber Soul, c’est mon dernier mot.
Merci à Lisa de Caroline International de nous avoir permis de réaliser cette interview
Why Are You OK de Band of Horses (Interscope, Caroline International) est sorti le 10 juin 2016 (l’écouter sur Deezer)
- Dull Times/The Moon
- Solemn Oath
- Hag
- Casual Party
- In A Drawer
- Hold On Gimme A Sec
- Lying Under Oak
- Throw My Mess
- Whatever, Wherever
- Country Teen
- Barrel House
- Even Still