L’IFPI (International Federation of the Phonographic Industry) vient de faire paraître son Global Music Report 2017, un bilan annuel précis de l’état du marché de la musique enregistrée. La croissance est-elle de retour pour le Music Business ?
+5,9% de croissance globale des profits est le premier chiffre qui marque. D’abord parce qu’il confirme la tendance à la hausse du secteur, après la chute abyssale du marché de la musique entre 1999 et 2014, chiffrée à près de 40%. Après une période de relative stabilisation du marché autour d’une valeur de 15 milliards de dollars entre 2010 et 2014 (année du plus bas à 14,3 milliards de dollars), la tendance semblait enfin s’inverser en 2015. Cette croissance impressionnante du secteur en 2016 – la plus forte depuis 1997, année du début du suivi des revenus de la musique par l’IFPI – le confirme. Le chiffre d’affaires du secteur repasse significativement au-dessus de la barre des 15 milliards de dollars pour la première fois depuis 2009. 15,7 milliards de dollars. Rien que ça.
Source : IFPI Global Music Report 2017 (page 11)
Comme le taux d’urbanisation mondial, les revenus liés au digital ont passé la barre des 50% du total du marché (+17,7% pour les revenus de la musique numérique). À noter la croissance vertigineuse des revenus liés au streaming dans ce mix : +60,4% sur l’année ! Un article du New York Times énonce même une croissance de 69% des revenus liés au streaming aux États-Unis, tirant les revenus globaux du 1er marché mondial de 11% sur l’année.
De leur côté, les ventes physiques reculent significativement (-7,6%, contre -3,9% en 2015), même si le secteur représente encore 34% du marché total de la musique enregistrée. Un mouvement encore plus marqué pour le téléchargement en ligne (-20,5%).
La mutation du marché de la musique
“Le marché mondial de la musique change plus significativement – et plus rapidement – que jamais” – Frances Moore, CEO de IFPI
Et cela ne concerne pas seulement la digitalisation des revenus de la musique. Les chiffres des droits liés à la diffusion font un bond de 7% en 2017, ainsi que ceux liés à l’utilisation de musique dans les publicités, films, jeux vidéos etc. (+2,8%, contre +7% en 2015). Ces croissances accompagnent celle des revenus liés aux concerts, en forte hausse mais non mesurés ici.
Même concernant les revenus digitaux, tout n’est pas au vert. Le téléchargement chute de manière spectaculaire (-20,5% en 2016), laissant sa place au streaming (+ 60,4% !). L’expression la plus forte de cette bascule se trouve sans doute dans la concentration des efforts d’Apple sur la plateforme de streaming Apple Music (lancée le 30 juin 2015), au détriment de l’iTunes Store.
L’Amérique latine mène la croissance
Pour la 7e année consécutive, l’Amérique latine observe la plus forte croissance du marché de la musique (+12%). L’Amérique du Nord la talonne avec +7,9%. L’Europe ferme la marche (+4%), juste derrière l’Asie et l’Océanie (+5,1%). L’Afrique commence également à se faire une place sur le marché, comme en atteste la croissance spectaculaire des revenus du streaming en Afrique du Sud : +334,2% en 1 an.
Petite comparaison amusante. En Suède – berceau de Spotify – les revenus du streaming représentent 69% du marché de la musique. Au contraire en Allemagne, les ventes physiques représentent encore 52% des revenus du secteur. Conséquence du renouveau du vinyle ?
| Vinyle meilleur que MP3 et CD ? Bullshit ! Notre analyse complète par un étudiant-ingénieur
Les reines du streaming en forte concurrence…
Si la croissance du marché de la musique s’établit à des niveaux différents selon les régions du monde, la constante réside dans la très forte hausse des revenus liés au streaming. Avec 112 millions d’abonnés payants partout dans le monde, la marge de progression est encore grande pour le streaming premium.
“C’est la forte concurrence qui tire autant le développement du marché du streaming. Une concurrence fondée sur la conquête de nouveaux marchés et non le ‘vol’ de parts de marchés aux concurrents, ce qui est clé.” – Will Page, chef économiste de Spotify
Comme le suggère Will Page, le streaming est encore un marché en croissance. En suivant les théories économiques classiques, le secteur devrait encore voir émerger de nombreux nouveaux acteurs. Si l’on peut considérer que c’est le cas avec les arrivées récentes de Apple Music ou encore Tidal, la disparition – par faillite ou absorption – et la crise d’un grand nombre de services de streaming (Rdio, Pandora, Qobuz…), tend à voir certains acteurs consolider leur avance. Spotify – 50 millions d’abonnés payants – et Apple Music – 20 millions – en tête. Le fait que les abonnés des nouveaux entrants ne semblent pas cannibaliser la base d’abonnés des acteurs plus anciens illustre la croissance soutenue du secteur.
Les 4 plateformes leaders du streaming musical aux États-Unis
Vers un oligopole restreint ?
Encore en forte concurrence avec de nouvelles parts de marché à conquérir, le secteur du streaming semble s’orienter peu à peu vers un oligopole restreint. Afin de s’imposer, les acteurs leaders ont fixé des prix d’abonnement bas, et connaissent des résultats négatifs. Ces pertes sont compensées par un financement très important en capital-risque, des levées de fonds géantes et successives (Spotify) ou l’appui de l’entreprise la plus riche du monde (Apple Music).
À terme, la profitabilité devrait être au rendez-vous, mais repose sur une croissance toujours plus importante du nombre d’abonnés payants à travers le monde.
| Voir le nombre d’abonnés des différentes plateformes de streaming sur Numerama
Spotify + Maisons de disque : vous avez un match ! (?)
Aujourd’hui, les maisons de disque n’ont plus à se plaindre du traitement qui leur est réservé par les plateformes de streaming ! En 2015, Spotify aurait rémunéré les maisons de disques 20$ par utilisateur, contre… moins de 1$ par utilisateur pour Youtube. Toutes proportions gardées en tenant compte du nombre bien plus conséquent d’utilisateurs de la plateforme vidéos de Google, cela montre tout de même un value gap bien plus grand pour Youtube que pour Spotify. Youtube proclame en effet ne pas être responsable pour le contenu uploadé sur sa plateforme, afin de ne pas avoir à rémunérer les maisons de disque et auteurs en conséquence. Concurrence déloyale ? Les plateformes de streaming pourraient s’en prévaloir.
Source : IFPI Global Music Report 2017 (page 25)
Cependant, les progrès récents des relations entre plateformes de streaming et maisons de disque et une sorte d’inversion ressentie du rapport de force ne fait pourtant pas oublier que le value gap reste une réalité.
La Commission européenne a identifié ce value gap comme une distorsion du marché, et initié des projets de réformes. Celles-ci viendraient responsabiliser les plateformes comme Youtube par rapport au contenu qu’elles partagent, qu’il soit autorisé (royalties à verser…) ou non autorisé (contrôle, suppression…).
Les écarts de richesse augmentent entre superstars / les autres
Autre dure réalité. Aujourd’hui, seuls Adèle, Ed Sheeran, Taylor Swift et leurs centaines de millions de streams parviennent à tirer des revenus substantiels des plateformes de streaming. Tirés par les algorithmes et playlist éditoriales mis en place par les plateformes (qui les mettent machinalement plus en avant), ces top artists enfilent en effet la plus grosse part du gâteau streaming, au détriment d’artistes plus confidentiels. Une statistique-clé, issue d’un édito de la chaire média et digital de l’ESSEC, illustre parfaitement ce phénomène :
“1% du catalogue génère environ 98% des streams chez Deezer”
Selon les chiffres du SNEP cités par un article de FranceTVInfo datant de mars 2016, un artiste gagne en moyenne 100€ pour 250.000 streams payants ou 1 million de streams gratuits. A contrario, il lui suffit de vendre 100 albums physiques pour obtenir la même rémunération…
| Notre playlist Bringing Them To Light 2017, mise à jour régulièrement, met en lumière des artistes méritant bien plus de streams qu’actuellement. En écoute sur Spotify & Deezer, entre autres.
One Dance by Drake (> 1,22 milliard de streams sur Spotify, n°1 en 2016)
We Were One de Plants and Animals (100.000 streams sur Spotify, notre coup de coeur de 2016)
La musique plus forte en R&D que le secteur pharmaceutique ?
Autre comparaison intéressante que propose l’INPI : l’investissement des maisons de disque en A&R représente 16,9% des revenus. Si on considère l’A&R (Artists & Repertoire) comme la R&D (Recherche & Développement) du secteur, c’est absolument gigantesque ! Plus que l’intensité de la R&D du secteur pharmaceutique (14,4%). Et près de 4 fois plus que le secteur aérospatial et défense (4,4%), rien que ça.
La nécessité de marché de renouveler constamment les catalogues des labels pour maintenir leurs revenus face à des brevets de médicaments pouvant durer 50 ans – et suffisant à eux seuls à maintenir des ventes colossales – l’explique sans doute. Mais tout de même !
Le marketing prend également une part extrêmement importante des investissements des labels. Quand entre 500.000 et 2 millions de dollars sont nécessaires pour faire percer un artiste au UK ou aux US, on peut comprendre…
La totalité de l’investissement en A&R et marketing par les maisons de disque représente 4,5 milliards de dollars en 2015 (27% des revenus du secteur). Titanesque.
Aujourd’hui, seuls les 3 majors du disque ont assez de ressources marketing pour faire percer plusieurs artistes par an sur les plus gros marchés du monde. Mais un oligopole peut en cacher un autre…
En conclusion, la fin du cauchemar pour le marché de la musique ?
Le secteur de la musique enregistrée connaît en somme une belle embellie sur l’exercice 2016. Tous les indicateurs sont au vert, la croissance en tête. Le grand remplacement du physique – mais surtout du téléchargement – par le streaming est enclenché. Mieux encore, les acteurs du secteur refont leurs marges…
Mais des défis perdurent pour les années à venir :
- La juste rémunération de tous les artistes et le value gap reconnu comme distorsion du marché par la Commission européenne ;
- La reconnaissance par les plateformes non payantes comme Youtube de leur responsabilité sur le contenu qu’elles partagent ;
- Des plateformes de streaming qui inversent le rapport de force, mais ne sont pas encore profitables ;
- Le rôle de la data et des algorithmes dans la découverte musicale, aussi excitant par ses possibilités qu’inquiétant par les oeillères qu’il nous confère. Comme pour l’information, le 100% ‘push’ est inquiétant, et la découverte au hasard, par soi-même (en ‘pull’), risque d’être de plus en plus rare. Le danger ? L’uniformisation de la musique à outrance.
- Les éventuels dangers de la constitution des plateformes de streaming en oligopole verrouillant le marché. Des ententes sur les prix peuvent émerger, et selon les théories économiques classiques, l’utilisateur en pâtirait !
N’oublions pas enfin que le rapport de l’IFPI ne couvre que le secteur de la musique enregistrée, pas le marché du live en pleine croissance ! Phantogram nous le disaient, ce sont les concerts et tournées qui rémunèrent le mieux les artistes aujourd’hui. La musique enregistrée redeviendra-t-elle une source de rémunération directe et pérenne pour tous les artistes ? On en saura sans doute plus l’année prochaine…
Le live restera-t-il la seule source de revenus pérenne pour la majorité des artistes ?
Pour continuer votre exploration du marché de la musique et du streaming, on vous conseille de jeter un oeil à Spotify Insights, la plateforme de visualisation de data du leader mondial du streaming. Si vous trouvez des perles, contactez-nous.
- Source principale de l’article : IFPI Global Music Report 2017
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