Interview – Cela s’appelle une immense chance. Celle de rencontrer Mike Barson, claviériste et membre fondateur du groupe légendaire Madness, dont les tubes Our House et One Step Beyond (entre autres) abreuvent les nights françaises depuis presque 40 ans. Un groupe qui a repris une nouvelle jeunesse et sorti un nouvel album génial en 2016 : Can’t Touch Us Now.
Nous avons décidé de découper cet entretien en 2 parties distinctes : dans la première que voici, nous avons parlé de musique et du nouvel album de Madness ; dans la seconde partie, Mike Barson nous a fait part d’opinions plus politiques, ses analyses, peurs et espoirs pour notre époque.
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| 2e partie de l’interview : la guerre, le Brexit, Trump, notre avenir… par Mike Barson
« On voulait toujours essayer d’être différents. Jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien »
Salut Mike. Dis nous, qui est le plus mad (fou) dans le groupe ?
Mike Barson : Qui est le plus fou ? Euh… Je dirais Lee Thompson. C’est notre saxophoniste, c’est lui le plus fou, c’est certain !
Tu parais toujours très jeune dans ta façon de jouer et d’écrire de la musique, comment as-tu fait pour conserver cette madness (folie) pendant toutes ces années ?
Oui, comment j’ai fait… C’est très compliqué. C’est plutôt compliqué de ne pas s’enliser, de garder une espèce de regard jeune. Ce qui est intéressant, dans les années 1980, c’est qu’on a d’abord eu du succès et à chaque fois on voulait essayer quelque chose de différent. Différent, différent, différent, différent… Et à un moment c’est comme s’il ne restait plus rien ! On en est arrivés à un point où on avait essayé tous les styles de musique et on ne voulait plus se répéter et c’est presque devenu une obsession. On s’est retrouvés coincés parce qu’on ne voulait plus faire ce que l’on avait déjà fait. Et puis ça devient un peu comme un obstacle. Mais on a fini par se rendre compte que c’était un peu idiot.
« Trouver le moyen d’être toujours authentique »
L’idée ne doit pas être de jouer un nouveau style de musique à chaque fois, je pense plutôt qu’il s’agit de trouver le moyen de faire quelque chose d’authentique. Quand tu écris une chanson, ou quand tu l’enregistres, il faut juste le faire sans attentes particulières et sans essayer de copier quelqu’un. Et en même temps, il s’agit aussi de trouver le truc qui te rend créatif. Et si tu as un processus de création qui fonctionne, tu te dépasses, tu vas au-delà des limites qui te bloquent.
Quand les gens se disent qu’ils ne peuvent pas faire telle ou telle chose, je pense que c’est dans leur tête. C’est un sacré truc, ça fait partie de la vie d’essayer de rester jeune et naïf… Enfin pas vraiment naïf mais rester jeune dans son approche de la vie. Comme ça tu n’attends rien, tu ne supposes rien. Sinon tu deviens rouillé et vieux.
Est-ce pour cela que tu as décidé de quitter le groupe à un moment ?
Je crois qu’on avait atteint un niveau où on avait beaucoup d’attentes et il était difficile d’avancer… Je trouvais ça difficile et c’est pour ça que je suis parti. Je ne peux pas vraiment parler pour les autres mais j’ai l’impression que c’est un peu ce qui est arrivé. Et après on a perdu en popularité. Cela a permis d’oublier nos attentes. Quand on est revenus, je pense qu’on a fait les choses différemment. Sans trop d’espoir ou de crainte, sans vouloir avoir un succès fou, mais juste pour faire ce qu’on aimait.
Si tu devais choisir 3 morceaux pour ceux qui ne connaissent pas bien Madness ?
Eh bien, je dirais One Step Beyond, surtout en France parce que ça été un gros succès ici donc ça aurait du sens. Et je dirais Our House, qui a aussi eu beaucoup de succès. C’est le plus gros hit de Madness aux Etats-Unis. Et le dernier, je dirais Mr. Apples, parce que c’est le nouveau single… [rires]
Et quelle est le morceau de Madness que tu préfères ?
C’est compliqué, on a tellement de chansons, c’est difficile d’en choisir une. Le morceau que je préfère pour l’instant sur l’album c’est You Are My Everything, une que j’ai écrite sur le nouvel album. Ca peut changer, j’aime bien Herbert aussi sur le nouvel album… Yeah !
« On est allés dans un petit studio de Londres pour enregistrer cet album de Madness »
Votre nouvel album est old-school et vintage, vous êtes retournés à vos racines. Comment s’est passé l’enregistrement ?
Un peu, en effet. C’est ce que je ressens. Enfin, quand tu l’écoutes ce n’est pas tout à fait la même chose, c’est même assez différent de ce que nous faisions quand nous avons commencé. Mais l’esprit dans lequel on l’a fait est le même.
C’est très cher d’enregistrer. Quand tu fais un album ça te coûte beaucoup d’argent et quand tu vois ce que ça te rapporte… Quand on débutait, l’industrie du disque était complètement différente. Quand tu faisais ton album, tu gagnais beaucoup d’argent et après tu partais en tournée et tu perdais de l’argent. Maintenant c’est l’inverse, pour nous en tout cas. On ne se fait pas beaucoup d’argent sur les ventes de CD parce que plus personne n’achète de CD et il y tout le streaming et tout ça est en plein changement. Mais en live, de nos jours, tu peux te faire beaucoup d’argent. Je ne sais pas trop comment ça a changé, ni pourquoi, mais ça a bien changé. Donc quand on a fait cet album…
Mr. Apples, premier single du dernier opus de Madness Can’t Touch Us Now
On n’aime pas spécialement dépenser vous voyez, et aussi quand et aussi quand tu dépenses un bon paquet d’argent pour enregistrer, ça te limite. Ca nous est arrivé, dans le passé, de dépenser, je ne sais pas, 150 000 £, pour faire un CD et puis quelqu’un de dire « je veux rajouter une version longue sur ce morceau » et le producteur de répondre « on n’a plus d’argent, on ne peut pas » et tu as cette tension à la fin parce que tu ne peux plus être inventif, et ça te limite un peu. Donc cette fois, on a décidé d’aller dans une toute petite salle de répétition, on payait 20 € par jour, uniquement pour louer l’équipement à l’intérieur. Et on a passé de supers moments, parce qu’on n’avait pas d’attente particulière. On n’a pas dépensé des masses d’argent. Vous savez, on a passé un mois là-dedans et on ne s’est pas dit « il faudrait commencer à enregistrer » et ça a vraiment détendu l’atmosphère et je pense que ça nous a aidés. On pouvait tous rentrer chez nous avec ce qu’on avait fait, puis on est allés dans un studio et ce n’était pas si cher.
On est allés dans un petit studio de Londres, qui s’appelle Toe Rag Studio, un studio analogique, notamment parce que j’aime les vieux enregistrements analogiques. Je trouve que les CD des années des 60s ont le meilleur son, peut-être aussi ceux des 70s. Je trouve que les enregistrements de l’époque étaient fantastiques. Les techniques qu’ils utilisaient à l’époque… Aujourd’hui tu as les ordinateurs, tu peux faire tellement de choses avec des ordinateurs mais c’est différent.
Pour moi ça sonne beaucoup mieux que ce que tu peux avoir aujourd’hui, bien que maintenant on puisse tout contrôler plus facilement. Donc on est retournés dans ce tout petit studio, on a utilisé un magnétophone à 8 pistes, un vieux Studebaker ou je ne sais quoi, et le son que tu obtiens est génial et c’est ce qu’on aime. Donc on y est retournés et on a commencé avec 8 morceaux. Quand tu as 8 morceaux qui fonctionnent super bien ça t’inspire pas mal et ça te porte.
On a commencé par quelque chose de très brut avec les 8 morceaux puis on a fini sur ProTools sur les ordis avec un mec qui s’appelle Charlie Andrews, c’est le producteur de nos dernières sorties. Ensuite, l’ordinateur n’a pas de limite, tu peux faire autant de prises que tu veux… Mais on a enregistré un son brut dans ce studio analogique.
« En général, on choisit les morceaux démocratiquement »
A propos de ces 8 morceaux, comment vous répartissez-vous le travail d’écriture dans le groupe ?
On est restés assez démocratiques dans le groupe. Donc on se retrouve en répétition, tout le monde a une chanson. Lui, lui, lui et lui aussi. On fait un tour de table. Une chanson, une autre, une autre, une autre… Et certains essayent de faire passer leurs chansons, donc il peut y avoir quelques tensions… Mais en général c’est ce qu’on fait.
Il y a des chansons que l’on a ajoutées à la fin. You Are My Everything et When I’m With You, et Crying non ce n’est pas ça [peut-être parlait-il de Catch You Crying]. Vous n’avez pas l’album avec vous ? Peu importe, il y a quelques chansons que l’on a ajoutées à la fin.
Mais en général on fait ça démocratiquement, c’est un peu les deux. Et quand on avait assez de morceaux, je ne voulais plus continuer et j’ai dit que j’en avais assez, que je ne voulais plus continuer. Parce que certains écrivent des centaines de chansons et d’autres en écrivent juste quelques unes mais je pense que c’est bien d’avoir un équilibre. Et le tout était plutôt bon, ce n’est pas comme si il y en avait un vraiment mauvais pour écrire de la musique.
Le groupe peut également ajouter quelque chose au morceau de quelqu’un… Avant Woody (Dan Woodgate), notre batteur, n’écrivait jamais de morceau pour Madness. Au bout d’un moment, comme par charité, on lui a dit « pourquoi tu n’écris pas une chanson ? ». On lui a dit d’écrire quelques accords sur une feuille de papier et on en a fait une chanson… Et vous voyez, ce n’est pas impossible. Le groupe était capable d’en faire quelque chose qui sonne bien.
Donc Madness ne va pas en studio avec des versions définitives mais plutôt des idées, c’est ça ?
Pas vraiment. On commence par la salle de répétition et on ne va pas au studio tant que nos morceaux n’ont pas atteint un certain degré. Quand tu es dans la salle de répétition et que tu travailles sur des chansons, tu atteins un certain niveau mais quand tu les joues devant un public, c’est encore différent. On ne le fait pas trop, pourtant c’est la meilleure méthode, mais ce n’est pas évident. Quand tu joues en live, tu gravis une marche supplémentaire. En quelque sorte, quand tu écris un album, tu pars en tournée avec et puis tu te dis « on aurait pu faire ça, ou ça », et tu l’améliores.
« Tout ce qui dure longtemps devient fatigant »
Au fait, tu préfères la scène ou le studio ?
Je ne sais pas, vraiment les deux. Enfin, c’est bien d’avoir les deux. Tout ce qui dure longtemps devient fatigant. Que tu sois toujours en tournée, si tu ne fais que des lives, c’est fatigant. Donc c’est génial de retourner au studio. C’est comme le temps, tu as le printemps, l’été… C’est bien que les choses changent en permanence. C’est la même chose pour moi avec Madness. J’aime le studio, c’est certain. C’est différent.
Quel est l’album des Beatles que tu préfères ?
Euh… C’est lequel avec Norwegian Wood déjà, vous connaissez l’album avec Norwegian Wood ? [Il commence à chanter] « I once had a girl… » Je ne me souviens pas du nom, mais c’est le meilleur selon moi. Oui ! Rubber Soul ! Et Revolver était vraiment bien aussi, mais plutôt Rubber Soul ! Supers morceaux, supers enregistrements, selon moi. J’ai beaucoup aimé l’album en entier, tous les morceaux sont vraiment bons. Quels sont les morceaux déjà ? Que des bonnes chansons, pourtant elles ne sont pas non plus trop connues.
Quel est ton dernier coup de cœur sur la nouvelle scène britannique ? Un groupe que tu nous conseillerais ?
Euh… Je suis un ancien. Je n’écoute pas trop la radio, j’écoute des vieilles musiques, uniquement les musiques que j’aimais quand j’étais jeune. Ca ne vaut vraiment pas le coup d’être évoqué [rires], c’est peut-être mieux de ne pas en parler… Bon, de la musique des Sixties, j’aimais les vieux Tamla Motown aussi des Seventies. Et aussi Robert Wyatt, Soft Machine, si vous en avez entendu parler… Vous connaissez ? Leur album Third est génial, j’aime ça. Moon in June est un super morceau. J’écoutais ça quand j’étais gamin donc oui, c’est la musique que j’aimais quand j’étais jeune.
Merci beaucoup pour tout ce temps que tu nous as accordé. C’était fou.
Ça marche !
“Vivons-nous en démocratie ?” : la 2e partie de l’interview est maintenant en ligne