Il y a tout juste une semaine, nous avons eu la chance de taper la discute avec Sacha et Nicolas du groupe luxembourgeois de math-rock Mutiny on the Bounty en marge du MaMA Event. Compte-rendu complet (on n’a pas voulu vous en faire perdre une miette…)
> Lire aussi : Chronique de Digital Tropics, le dernier album de Mutiny and the Bounty (note : iii ½ )
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D’où vient le nom Mutiny on the Bounty ? C’est inspiré du livre ?
Sacha (batteur) : Non, le choix du nom n’a aucun lien avec l’histoire du livre. On devait trouver un nom et on s’est dit que Mutiny on the Bounty était assez cool. Ça matchait assez bien avec la musique, une sorte de bataille de guitares.
Nicolas (guitariste) : Le côté un peu épique, comme une histoire : c’était ça qui nous plaisait.
Et pour continuer sur les origines, l’artwork en forme de nuage rose de l’album [Digital Tropics], c’est vous qui l’avez dessiné ?
S : En fait, c’est un artiste suisse qui habite aux Etats-Unis qui fait ce genre de choses. Il a une salle avec une sorte de gros aquarium et il construit des petits paysages qu’il met dans l’eau avant d’y faire couler de la couleur, ce qui donne l’effet nuageux. On trouvait ça super chouette donc on a acheté la photo mais on l’a bien retravaillée. Les couleurs, le grain, tout a changé.
Concernant le style du math-rock, comment ça se compose ? Est-ce qu’il y a quelqu’un qui décide dans le groupe ou bien c’est un mélange où chacun apporte sa part ?
N : On travaille énormément tous ensemble : en général, on arrive avec une idée qu’on développe à quatre. Ce qui est important pour nous, c’est que tout le monde bosse ensemble comme ça il y a plus de cohérence dans le son. C’est vraiment un travail d’équipe.
Du coup, vous vous réunissez pour des jams et ensuite ça part ?
S : Entre autres, ouais. Il y a aussi le fait que des membres ont écrit des chansons complètes, du coup on les écoute ensemble pour décider ce qui change, ce qui ne change pas… A côté de ça, on a fait des jams, on a écrit des chansons au studio même… On a vraiment eu plein de façons différentes de composer des chansons.
Et sinon comme vous faites du math-rock, il y en a un dans le groupe qui est plus fort en maths que les autres ?
[Rires]
S : Non, pas vraiment. En fait, le terme math-rock, ça veut tout et rien dire, c’est un terme qui date et je pense que beaucoup de groupes qui sont dans la catégorie math-rock n’en font pas réellement. C’est pas vraiment de la musique décomposée, maintenant dès que tu as un truc un peu éclectique, avec des tappings, les gens disent que tu fais du math-rock. À l’époque, on écoutait plein de groupes dans ce genre parce que ça nous plaisait, mais là, en particulier pour le dernier album, on a eu beaucoup d’autres influences qui n’avaient strictement rien à voir avec le math-rock, le post-rock… Qui n’étaient même pas rock du tout ! On était vraiment dans la musique pop des années 80, de la dance, du hip-hop, de la soul, plein d’autres trucs.
Dans les morceaux de Digital Tropics, il y a toujours des rythmes structurés, carrés. Est-ce que dans votre vie, vous êtes aussi structurés ?
N, S : [Rires] Pas trop, c’est l’inverse.
Pourquoi vous avez décidé de faire un album purement instrumental, sans chant ?
N : On a écrit et on s’est rendu compte que les chansons marchaient bien comme ça. Du coup, on a encore plus travaillé le côté mélodique des guitares pour substituer l’absence de chant. C’était pas vraiment une volonté, c’est arrivé comme ça. En général, quand on compose, on se laisse aller et on voit où ça nous mène. Ici, ça nous a mené à cet album, plus dansant, instrumental. En général, on ne se pose pas énormément de questions. On prend les chansons comme elles viennent et une fois qu’on a le tout, on travaille l’esthétique générale.
S : Par exemple, pour être honnête, il y a du chant pour le moment sur le prochain album. C’est vraiment une histoire de feeling, on fait en sorte que tout le monde soit heureux et fasse ce qu’il a envie musicalement, on ne se fixe pas de limite. Si le prochain album est totalement différent, c’est comme ça et puis voilà.
C’est vrai qu’il y a aussi pas mal de variations dans les sons des guitares pour apporter plus de richesse au tout, d’ailleurs le pedalboard pèse combien au final ?
N : [Sourire] Le mien pèse 30 kilos.
S : On le sait parce qu’on a dû les peser pour prendre l’avion ! On va devoir prendre des suppléments bagage.
Et sinon, concernant MKL JKSN, on cherche toujours le sens du clip, voire du titre. Un indice ?
S : Le titre, c’est une abréviation pour Mickaël Jackson. Et pour le clip, j’avais depuis longtemps cette idée de faire une vidéo qui ressemblait à Soul Train parce que j’adorais cette émission. J’ai monté tout le décor avec des amis en deux-trois jours, on a aménagé la salle et les lumières et on a invité une quarantaine d’amis. Il y avait trois-quatre danseurs professionnels mais le reste c’était des amis dont c’était pas le métier. De l’autre côté de la salle, on a fait des projections de vrais Soul Train pour les inspirer et ensuite on s’est laissé aller.
Même le présentateur, c’est un de vos amis ?
S : Non, c’est un acteur allemand. Une personne du film le connaissait et a eu l’idée de l’embaucher. Il était assez génial.
Le clip officiel de MKL JKSN par Mutiny on the Bounty
Est-ce que vous avez déjà eu envie de partir dans des trips plus barrés sur les signatures rythmiques, du 13/8, du 7/4, etc ?
N : On a un peu plus commencé comme ça, il y avait beaucoup plus de contretemps. Maintenant ce qui nous intéresse un peu plus, c’est d’être limpide dans ce qu’on fait. C’est vrai que c’est toujours intéressant quand on a une bonne idée avec une grosse signature mais l’important pour nous c’est d’être clair et limpide : quelque chose de carré.
S : On pense plus à utiliser ce genre de truc comme un extra dans la chanson plutôt que d’en faire le centre de toute la chanson. Moi ce qui m’intéresse, c’est le groove. Je suis moins intéressé par faire quelque chose de méga décomposé, j’ai plus envie de faire quelque chose qui groove.
Des groupes que vous aimez particulièrement, qui vous influencent et que vous aimeriez partager ?
N : Pas facile d’en choisir, il y a beaucoup de groupes. Il y a Battles forcément, desquels on nous rapproche souvent. On écoute de plus en plus d’autres genres de musique en ce moment. De The Cure à Mickaël Jackson en passant par du hip-hop, ça commence à devenir de plus en plus varié ce qu’on écoute.
S : En fait, quand tu vieillis, tu reviens un peu à tes racines.
Vous êtes potes depuis longtemps ?
N : On s’est connu environ un an avant de commencer à jouer ensemble, maintenant ça fait douze ans qu’on joue en groupe.
Et est-ce que vous avez tous des goûts un peu similaires ou très différents ?
S : Les deux. Il y a des trucs qui nous rapprochent et d’autres non. Tout le monde ramène un style différent et le mélange de tout ça rend la musique intéressante.
Est-ce que vous avez une scène sur laquelle vous rêvez de jouer ?
N : Le Madison Square Garden. [Rires]
N : On a eu de la chance, on a déjà joué au Roskilde au Danemark, au Primavera deux fois et Arc Tangent, qui est un festival en Angleterre dédié à ce style de musique, deux fois d’affilée.
S : On a aussi pu faire des trucs qui ressemblaient à des raves, c’était très cool. Après, j’ai pas forcément de scène en tête.
N : Pour ma part, qu’on joue dans un café avec vingt personnes ou une grosse scène, ça m’est un peu égal. C’est une énergie tout à fait différente, j’adore être tout proche du public pour pouvoir ressentir et voir ce que font les gens pendant le concert mais c’est aussi super cool d’avoir une grosse masse de gens en face de toi où t’hallucines devant les types qui connaissent les chansons ou qui bougent comme des malades. Au Primavera la dernière fois, il y avait des gars qui sont montés sur scène, qui dansaient de partout, c’était fou !
C’était votre meilleur souvenir sur scène ou vous en avez un autre ?
N : C’est très difficile à dire.
S : Il y en a plein, on a aussi bien eu des petits shows avec des salles bien remplis où c’était super cool que des grosses scènes. Par exemple, le Primavera était vraiment fou parce qu’on s’attendait à rien. On a joué quatre shows autour du Primavera, le dernier étant le show officiel sur le Primavera. La scène était assez vide toute la journée et quand on a commencé à jouer ça s’est rempli. Vers la fin, il y avait 2 000-2 500 personnes mais on sentait qu’ils n’étaient pas là par hasard. Ils connaissaient les chansons, ils étaient à fond dans le truc. Ca faisait vraiment plaisir. C’est pas juste histoire de jouer sur une grande scène avec plein de gens, c’est aussi de sentir que les gens viennent pour toi.
Et est-ce que vous faites des trucs de taré sur scène, des délires ?
N : Notre set est toujours assez énergique, ça bouge beaucoup en général. Après on est un peu scotchés derrière nos pédales, c’est pas facile à gérer en permanence comme il y a beaucoup de changements. Il vaudrait mieux demander à un spectateur !
En écoutant l’album Digital Tropics (chronique ici), on sent qu’il y a une sorte de fil rouge derrière tous les morceaux, est-ce que quand vous composez les morceaux vous chercher justement ce fil conducteur ou bien est-ce que ce sont des morceaux isolés ?
N : On cherche plus à faire un tout. Enfin, je pense que ce qui est toujours important quand on veut faire un nouvel album c’est d’être cohérent sur les chansons. On a toujours un point où on se dit « voilà, ça va être ça l’album » et une fois qu’on a cette optique, on va pas chercher à l’opposé.
Et ça vous prend combien de temps pour les écrire ? Est-ce que vous vous laissez du temps entre les albums pour changer d’influences ?
N : En général, une fois qu’on sort un album, on est en tournée pendant au moins un an donc il ne se passe rien pendant un an.
Vous ne composez pas entre les concerts pendant la tournée ?
S : On n’a juste pas le temps, c’est trop compliqué à gérer. En ce moment, le problème qu’on a surtout c’est que notre bassiste fixe n’est plus vraiment dans le groupe donc on doit tourner avec d’autres bassistes. On a trois-quatre personnes qui font l’une ou l’autre des tournées avec nous et à chaque fois il faut qu’on recommence à zéro donc ce n’est pas simple. Et puis il faut aussi qu’on bosse à côté. On a lâché nos jobs fixes pour le groupe mais il faut quand même qu’on gagne un peu notre vie. Et comme c’est freelance, il faut qu’on bosse au maximum à côté.
D’ailleurs, vous faisiez quoi avant de vous lancer dans le groupe ?
S : Je fais la même chose maintenant que je faisais avant mais en freelance. Avant je faisais ingé lumière dans une salle au Luxembourg, maintenant je suis ingé lumière en freelance.
N : Moi, j’ai fait pas mal de petits jobs mais c’était toujours autour de la musique : j’étais programmateur dans une petite salle, j’ai travaillé pour un petit label, j’ai fait de la communication dans un bureau sérieux, etc.
Et vous avez un rêve un peu fou pour MOTB ou vous vous laissez guider ?
N : Déjà, on part au Japon donc c’est un rêve qui se réalise. En plus de ça, on a aussi eu des propositions pour aller en Chine donc l’avenir a l’air assez cool. Ce qui est important pour nous, c’est de toujours faire des expériences. C’est ce que le groupe nous a appris : voyager, rencontrer des gens, se faire des amis aux quatre coins du monde… Tout ça est assez exceptionnel.
Voyager, ça fait partie de votre musique ?
N : Je pense que oui, le fait de rencontrer des gens, ça laisse des marques, ça ouvre l’esprit. Venant d’un tout petit pays comme le Luxembourg, on n’avait jamais vraiment bougé avant le groupe. Tous les pays dans lesquels on est passé, on n’aurait jamais eu la chance d’y aller. On est allé aux États-Unis, presque partout en Europe, c’est fou.
Et votre maison, elle est toujours au Luxembourg ?
N, S : Ouais.
Et vous avez déjà eu envie d’aller vous installer autre part ou non ?
S : Déjà, notre deuxième guitariste est belge. A côté de ça, un de nos bassistes vient d’Allemagne, un autre est un Luxembourgeois qui étudie aux Pays-Bas… On est déjà un groupe multiculturel, mais on a notre base au Luxembourg. C’est vrai que le pays est très cher à vivre donc c’est un peu con [sic] pour un groupe de rester au Luxembourg, mais on y a notre famille, nos amis… Notre base est là. Pour ma part, je n’ai pas envie de quitter le Luxembourg parce que comme on a l’opportunité de bouger beaucoup avec le groupe, ça compense. C’est vrai que si on habitait au Luxembourg sans jamais en sortir, ce serait une autre histoire. Mais là on voyage donc c’est cool.
N : Et c’est un bon point de départ, on est bien au milieu de tout !
S : Ouais, on peut se mettre dans le van et aller jouer dans trois pays différents en faisant un peu plus de cinquante kilomètres donc c’est assez exceptionnel.
Je ne suis jamais allé au Luxembourg, mais c’est bon à savoir !
N : Il y pas grand-chose à voir ! [Rires]
S : Il y a des coins très beaux mais c’est assez calme. C’est pas comme à Paris où tu sors le mardi soir et tu vois des gens dans la rue. Il y a tout qui ferme assez tôt ! Dans les grandes villes où on va, t’es en plein milieu de la semaine et le soir tu sors, tu rencontres plein de gens, je trouve ça cool. Au Luxembourg, il y a deux endroits où il y a des universités mais comme ça ferme à une heure en semaine, c’est pas forcément simple.
N : Ce qui n’est pas toujours facile non plus au Luxembourg, qui est tout petit, c’est quand tu dis à tes parents ou à tes amis « Ouais, je vais faire de la musique pour gagner 300€ par mois » et qu’ils te répondent tous que tu es fou. C’est petit donc c’est souvent une mentalité de sécurité. Mais en même temps, c’est là qu’on a nos racines. C’est là qu’on a tous nos amis, nos familles. On bouge tellement que finalement, ça fait plaisir quand on revient !
Et en studio vous enregistrez au Luxembourg ou ailleurs ?
N : Le premier album, on l’a enregistré au Luxembourg, le deuxième on est allé l’enregistrer à Seattle et le dernier on l’a enregistré en Bavière.
Au niveau de vos journées, quelle journée-type : lève-tôt ou couche-tard ?
N : Couche-tard !
S : Moi j’ai une petite fille donc lève-tôt ! Après ça dépend comment on bosse. Moi en général, je bosse pas tôt mais je bosse longtemps, je commence vers midi, une heure et je finis vers minuit, une heure.
Vous avez des artistes récents, derniers coups de cœur ?
N : Hier, on a joué avec Paus, un groupe du Portugal qu’on aime beaucoup. Mais à vrai dire, quand tu es tout le temps en tournée, tu perds un peu le fil, t’es pas toujours derrière ton ordi à streamer des albums. Et là, ça fait quand même déjà un mois qu’on est en tournée.
Vous écoutez encore beaucoup de musique ou vous faites comme d’autres artistes qui, en sortant de tournée et de studio, font une pause et n’écoutent presque plus du tout de musique ?
N, S : Ouais, on écoute toujours de la musique.
S : Après ce qui est clair c’est qu’une fois que notre album était terminé et mixé, on ne l’a presque plus écouté ! T’as juste plus envie comme t’as assez bossé dessus.
N : Je pense que c’est aussi une des raisons pour lesquelles quand t’écoutes de la musique, tu retombes sur ce que t’écoutais il y a quelques années. C’est un peu un safe place, c’est plus reposant que d’aller toujours essayer de découvrir de nouveaux trucs.
Du coup, vous êtes plus à vous reposer sur vos goûts anciens ou à explorer de nouvelles choses ?
N : Je suis plutôt à la recherche de nouveaux trucs mais c’est vrai qu’il faut que j’aie plus de temps pour rattraper mon retard.
S : Moi c’est un peu différent. J’aime bien découvrir de nouvelles choses mais je retombe toujours sur les mêmes racines, du hip-hop, de la soul, des styles qui m’inspirent en ce moment beaucoup plus que les autres trucs de rock.
Vous essayez d’avoir un style un peu fusion entre tous ces genres ?
S : Les influences rentrent forcément dans le style, on n’y pense pas, c’est naturel. Quand je veux jouer un truc, je réfléchis pas et je m’en fous d’où vient l’idée, c’est juste un feeling.
Maintenant que vous êtes en pleine tournée avec tout ce que ça implique, vous êtes vraiment à vivre dans le présent ou bien vous vous projetez dans le futur (ou bien vous allez retrouver d’autres choses dans le passé) ?
N : Avec le groupe, t’es toujours obligé de travailler en amont. On est déjà en train de booker le mois d’avril, il faut toujours penser loin devant, mais après les tournées c’est le présent.
S : Ouais, il faut se focaliser sur le présent, tous les jours, il faut être en forme pour assurer et s’amuser aussi, c’est important. Pour le moment, sur cette tournée, on rentre à la maison, on repart, on rentre, etc. Ça va se passer comme ça jusqu’à fin novembre. Il y aura un petit mois de décembre où il ne se passera pas grand-chose pour le groupe mais à partir de janvier, ça repart.
Effectivement, en voyant la liste des dates prévues pour Mutiny on the Bounty ça va être tous les soirs ou tous les deux soirs, c’est ça ?
N : Ouais, de mi-septembre à fin novembre on a 43 dates de prévues. C’est vrai que c’est pas mal !
Merci à Estelle de La Mission et au staff du MaMa Event de nous avoir permis de faire cette interview de Mutiny on the Bounty. Un super moment !