Jeudi 8 octobre, quelques heures avant le show de Great Lake Swimmers au Pop-Up du Label (Paris), nous avons pu rencontrer le leader du groupe, le chanteur et guitariste Tony Dekker. De son rôle dans le “band” à sa relation avec la nature et son pays, entrée dans l’intimité de Great Lake Swimmers. Ou plutôt traversée d’un bord à l’autre de l’âme du groupe, sur des airs emplis de silence.
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Salut Tony. Pour commencer, es-tu celui qui compose et écrit tous les morceaux de Great Lake Swimmers ?
Je suis le leader, le gars qui mène le troupeau [sourire]. Nous avons gardé la même composition de groupe pendant presque 6 ans, en dehors du batteur. Joshua (Van Tassel) a rejoint le groupe il y a environ 3 ans.
Ce batteur – Joshua – s’est-il adapté simplement au style du groupe ou a-t-il véritablement apporté sa patte ?
Il a définitivement apporté quelque chose à ce nouvel album, quelque chose de plus vivant. Tu comprends, on a débuté avec de simples percussions. Ce que l’on jouait en live au départ était toujours très silencieux et mélancolique. Ces morceaux font encore partie de notre setlist, mais le nouveau batteur “élève” la cadence de tout ce que nous jouons, en particulier lors des concerts.
Tout est plus énergique.
… Et plus prenant à jouer en live du coup ?
C’est vrai que notre set est plus dynamique désormais. Nous jouons avec des instruments acoustiques : banjo, violons, contrebasse etc. On n’est pas obligés de se “brancher” si on ne le veut pas.
On a pu résister au besoin de faire un album plus “rock’n’roll”, parce que l’on pense que c’est presque trop facile d’épater le public en “se branchant”. Du coup, on a choisi la direction opposée, en tentant de faire des silences l’essence de notre relation avec le public.
Est-ce que ne pas avoir à vous brancher est un moyen de vous sentir plus libres ?
Oui, tout à fait. C’en est sans doute l’aspect le plus intéressant. C’est une sorte de défi : faire un spectacle qui a une dynamique, un véritable mouvement, avec des chansons très silencieuses, sans puissantes guitares électriques.
Est-ce que tu préfères les petites salles du coup, les lieux plus intimistes ?
Nous avons joué dans toutes sortes de salles. Au Canada nous jouons dans des théâtres ou même des églises. Ces espaces spéciaux sont vraiment cools [sic]. Mais je pense effectivement que notre musique fonctionne mieux dans des salles plus intimistes et “cosy”. Les gens sentent les vibrations, la vibe. On se sent plus connectés au public quand on est plus proches d’eux, c’est évident.
Comment en êtes-vous venu à mettre en avant le banjo dans votre musique ?
J’adore le son du banjo. Erik, qui est avec nous depuis le plus longtemps (15 ans presque), a tout simplement commencé à apprendre le banjo pour se mêler au mieux aux chansons que j’écrivais. Il a appris le banjo pour entrer dans le groupe, en réalité. 15 ans après, il est devenu un joueur incroyable de banjo, après avoir étudié tous les morceaux traditionnels, de country-blues etc. Cet instrument s’est totalement intégré au groupe, en devenant un outil quasi-indispensable.
Te sens-tu plus ou moins proches d’autres artistes/groupes canadiens, comme Arcade Fire, Patrick Watson etc. ?
Effectivement, nos chemins se sont souvent croisés. Bon, ils viennent principalement de Montréal et nous de Toronto, donc il y a une sorte de rivalité entre les villes [rires]. Mais plus sincèrement, il y a quelque chose qui nous unit. Nous avons fait une petite tournée aux États-Unis avec Patrick Watson il y a quelques années. On les aime beaucoup. Nous apprécions beaucoup les membres de Arcade Fire, que nous avons croisés à plusieurs reprises à travers leurs divers side-projects. Ils ont tous beaucoup de projets en cours hors du groupe. Ce sont des êtres incroyables.
Un ou plusieurs groupes canadiens que tu nous conseillerais d’écouter ?
Il y a ce type que j’aime bien, Chad VanGaalen qui fait de la musique très intéressante et étrange [weird]. C’est un de mes artistes préférés en ce moment, c’est une certitude.
Beaucoup de choses se passent en ce moment au Canada, mais oui je crois que débuter avec Chad VanGaalen est une bonne idée. Il fait toutes ses vidéos lui-même. Elles sont très étranges, mais à ne pas rater !
Un souvenir de quelque chose un peu fou fait sur scène ?
Je ne sais pas, on ne devient jamais trop fous sur scène. Ce n’est pas trop notre style. On est plutôt calmes, cools et rassemblés. Mais je me souviens d’une fois, en Allemagne. La scène était au milieu de la salle. On avait laissé nos instruments et, quand nous sommes revenus, il y avait de la bière partout. On était un peu énervés, un de nos gars a retourné sa mandoline et la bière a littéralement coulé à flots du trou. Il y avait de la bière partout, c’était fou. A la fin ça allait, mais la situation nous a un peu bouleversés [rires].
T’inspires-tu d’expériences plus intérieures ou de projections vers l’extérieur pour écrire tes chansons ?
Je pense… Les deux. Nous avons des paysages, des environnements au sein de nous. C’est l’étendue de notre imagination, projetée dans notre environnement (montagnes, arbres, animaux etc.) qui permet d’écrire des chansons à la fois intimes et qui parlent à tous. Je prends souvent mon inspiration de l’environnement, et des choses très belles peuvent en sortir lorsque l’on se projette sur la nature qui nous entoure.
Est-ce que tu penses pensez que vos chansons sont plus inspirées par le passé, le présent, le futur ?
Tous je pense. Je ne peux pas penser à l’un qui éclipse l’autre. Ces temps sont tous bien représentés dans mes chansons.
D’où vient votre nom : Great Lake Swimmers ?
J’ai grandi dans la région des Grands Lacs au Canada. Quand j’allais à l’école j’étais proche du lac Huron, puis du lac Ontario quand j’ai grandi. Au départ, c’était purement une référence géographique au lieu d’où l’on vient, l’envie d’en raconter l’histoire. J’ai grandi en nageant dans ces lacs, et puis cela pouvait faire référence aux réels “nageurs des Grands Lacs” (Vickie Keith etc.)
C’est une forme de métaphore du fait d’atteindre l’autre rive. Une fois que l’on est suffisamment engagé, on se trouve plus proche de l’autre rive que si l’on décide de revenir en arrière. Cette métaphore d’être trop engagé pour revenir en arrière, et de devoir à tout prix rejoindre l’autre rive, me plaisait énormément.
Est-ce que cela représente du coup l’ambition du groupe ? De réussir ?
Non, pas vraiment. C’est plus : essayer d’atteindre le sens de quelque chose, découvrir la vérité, parvenir de l’autre côté d’une chose réelle et vraie…
Les autres membres du groupe ressentent-ils la même chose, cette relation que tu as avec cet endroit ? Ou es-tu celui qui construit la totalité de la musique et de l’identité de Great Lake Swimmers ?
Je suis celui qui “détient la vision” en quelque sorte. J’écris toutes les chansons et prends toutes les décisions. Les autres membres accompagnent la chanson, la défendent en quelque sorte. Quand tout doit devenir plus silencieux, chacun est essentiel, et de même quand il s’agit d’accélérer le rythme. Et nous sommes unis à ce moment-là.
Ce qui nous définit est plus ce que la musique nous demande, ce que les morceaux nous demandent, que simplement moi.
Vous cherchez l’harmonie sur scène, que chacun parviennent à “jouer les mêmes sentiments” ?
Oui, et quelque part à ce que chacun respecte la chanson.
Comment vous êtes-vous rencontrés ?
La plupart des membres de Great Lake Swimmers jouaient de la musique, à Toronto. Je les ai tout simplement rencontrés. Ils jouaient, je les ai vus. A force, on rencontre tout le monde comme ça. Quand j’ai débuté, je jouais près de deux fois par semaine dans des petits clubs, bars, cafés. Je pense avoir joué dans tous les petites salles de Toronto ! J’ai rencontré du monde de cette manière.
Est-ce que tu regrettes ces moments où la “célébrité” (en quelque sorte), n’était pas encore au rendez-vous ?
Oh, je pense que la célébrité est une notion très malléable au Canada. Mais en dehors de ça, cela m’arrive de regretter oui. Mais quand je me souviens à quel point cela était dur de jouer tous les soirs, et ensuite me réveiller quelques heures plus tard pour un “vrai travail”, je suis heureux que la partie musique de ma vie ait décollé. J’ai fait cela quelques années : travailler et jouer en même temps.
Que faisais-tu comme job ?
Je travaillais pour une entreprise de cinéma à Toronto. Il y a une forte culture cinématographique à Toronto, un festival international. Je faisais partie de cette industrie, rien de très excitant, mais je travaillais dans une grosse entreprise. C’était un travail “décent”, mais j’ai toujours fait de la musique à côté. Et un jour, ça a décollé suffisamment pour que je puisse m’y consacrer.
As-tu toujours su que tu voulais faire de la musique à plein-temps ou cela est-il venu un jour, d’un seul coup ?
En réalité, j’ai déménagé à Toronto avec l’intention de devenir écrivain ! J’ai un Bachelor de littérature. Je pensais apprendre comment écrire des livres, de la poésie…
La composition de chansons est quelque chose de très différent, c’est plus immédiat. Souvent, le langage complexe, que l’on peut retrouver en poésie, n’est pas la meilleure chose pour une chanson réussie. Les chansons sont des histoires, des conversations. Être auteur de chansons est tout de même assez différent d’être poète.
As-tu un rêve pour Great Lake Swimmers ?
La survie. C’est à peu près tout.
Des endroits dans le monde où tu souhaiterais jouer ?
Nous avons joué à Istanbul pour la première fois récemment, ce qui était plutôt cool. Il y a beaucoup d’endroits du monde que je souhaiterais découvrir. Mais nous laisser aller comme cela vient, c’est bien assez pour moi.
As-tu le temps de visiter les endroits dans lesquels vous vous rendez pour jouer ?
Très rarement. Ce serait pourtant chouette. Par exemple, à Paris aujourd’hui, nous avons fait quelques sessions, une interview maintenant, un concert tout à l’heure… Je pense que mon objectif est surtout d’envoyer des cartes postales [Rires] Tout à l’heure, j’ai marché jusqu’à un bureau de Poste, envoyé une carte postale, et suis revenu au club. Voici ma journée à Paris [sourire]. Mais ça me va très bien ainsi.
Le plus grand succès à ce jour de Great Lake Swimmers, The Rocky Spine (2012)
Merci à Romain Berthault de Ephélide et au Pop-Up du Label d’avoir rendu cette interview possible