On a écouté ton nouvel album, Luxe. Et pour commencer, on voulait savoir : Stranded Horse, sur Luxe, c’est qui ?
Nous sommes 11. J’ai enregistré l’album à 3 endroits différents : Dakar, Paris et Nantes. J’ai profité de deux résidences à Dakar en 2012 et 2013 pour enregistrer principalement avec des musiciens sénégalais les premières sessions, que j’ai ensuite ré-augmentées d’autres collaborations en France. Notamment un trio de cordes – Vacarme – formé de 2 violons et un violoncelle, la chanteuse Eloïse Decazes et le percussionniste Amaury Ranger, qui participe à plusieurs projets dont le plus connu est sans doute François and The Atlas Mountains. Au Sénégal, j’ai rencontré Boubacar Cissokho, joueur de kora, qui a un rôle central sur l’album.
Monde, l’un des morceaux-phares du nouveau-né de Stranded Horse, Luxe
Tu joues aussi de la kora ?
Oui, mais un peu moins sur cet album. J’ai beaucoup laissé Boubacar jouer, me contentant de la guitare.
Comme tu disais, tu as enregistré cet album à plusieurs endroits. Tu considères que c’est plus un album que tu as conçu comme un ensemble dès le départ, ou ça s’est plus construit au fil des morceaux ?
Je me suis laissé plus ou moins surprendre par les rencontres, c’était plutôt l’idée. Le line-up de ce disque a en réalité beaucoup fonctionné sur des figures imposées qui se sont présentées au fil du temps. Dans un premier temps, on m’a proposé une résidence à Dakar. Elle devait au départ avoir lieu à Bamako (Mali) mais a été annulée à cause des événements. Je suis donc allé à Dakar dans le but de rencontrer des musiciens, mais aussi de recommencer à écrire et confronter ce que j’avais ébauché à d’autres modes d’écriture et d’autres personnes. Cela a tellement bien marché que je l’ai prolongé en retournant à Dakar l’année suivante ! Plus par mes propres moyens cette fois-ci.
La deuxième figure imposée est une deuxième résidence que l’on m’a proposée à Toulouse avec le projet de mettre en place un line-up plus élaboré. On a donc monté un trio de cordes, qui est aujourd’hui devenu Vacarme. Ils ont depuis joué sur d’autres projets ensemble. Cela a également été l’occasion de faire venir Boubacar pour la première fois en Europe.
Reprise très personnelle de Transmission de Joy Division par Stranded Horse et Boubacar Cissokho
Qu’est-ce qui t’a attiré vers l’Afrique et la musique africaine ?
Je me suis tout simplement laissé traîner à un concert de musique mandingue il y a une bonne dizaine d’années par un de mes meilleurs amis. J’ai été soufflé par l’ambiance et l’atmosphère qui se dégageait dans la salle, une ambiance assez douce, pas mélancolique mais très noble, un petit peu nostalgique. Quelque chose de médicinal.
Je sortais d’une vie assez urbaine à Paris depuis 6-7 ans et cela m’a donné des envies d’ailleurs. Je suis retourné dans mon environnement natal, la côte Ouest normande, ‘sauvage’. J’ai commencé à y développer de nouvelles acoustiques, quelque chose que je faisais depuis longtemps, étant musicien de guitare classique. Je n’avais jamais vraiment exploité la diversité des acoustiques des cordes, même si je travaillais à l’époque sur un autre projet musical, Encre (voir ci-dessous)
Pour revenir à ce fameux concert, je me suis rendu compte que l’instrument qui me plaisait le plus était la kora. Je me suis dit qu’elle pourrait me mener un peu plus loin dans mes recherches… Comme j’avais déjà des réflexes et facilités d’arpèges grâce à la guitare classique, je me la suis appropriée assez vite. J’ai commencé à enregistrer des choses avec au bout de 2-3 mois.
Foehn par Encre
Et la guitare au départ, c’est un choix ou le hasard ? Parce qu’on remarque vraiment ce primat des cordes sur ton album…
J’ai toujours aimé les cordes pincées, les cordes classiques, et…
J’ai perdu le fil. Je ne suis pas très bien réveillé.
Nous non plus ne t’inquiète pas ! On a vu qu’aujourd’hui c’était le Blue Monday, la journée la plus dépressive de l’année.
Un beau jour pour une interview du coup ! [rires]
Bon, tentons de reprendre le fil. Du coup, la guitare ça a commencé comment ?
À l’âge de 7 ans, on m’a mis une guitare dans les mains et cela m’a tout de suite plu. J’ai pu suivre des cours plutôt individuels, pas très rigides, assez souples. Ma connaissance du solfège est là, mais pas forcément hyper pointue. Cela ne m’a jamais passionné, et je dirais que je ne l’ai appris qu’en jouant en même temps. C’est très loin derrière moi.
My Name Is Carnival (Luxe) : Stranded Horse en session au Studio Flagrant
Et tu n’as pas eu envie de te satisfaire des accords américains classiques pour épater 2-3 filles ?
À un moment au lycée j’ai complètement délaissé la guitare classique pour jouer dans des groupes de rock. J’y suis revenu plus tard. J’ai fait pas mal de guitare électrique, j’ai joué dans des groupes de trash et de death metal. Je ne sais pas si ça plaisait beaucoup aux nanas. Nous on le pensait, mais dans l’absolu je pense que non.
En musique contemporaine, quelles sont tes influences ? Qu’est-ce qui te plaît ?
Tout. Terry Riley. Là, comme ça, tu me prends un peu de court. J’en écoutais beaucoup quand je vivais à Paris. J’ai même travaillé à l’Ircam. Travail complètement alimentaire, je vendais des billets. Mais ce ne sont pas des choses dans lesquelles je suis en ce moment.
Sinon j’écoute beaucoup de musiques du monde un peu curieuse. Je n’aime pas ce terme, parce que c’est complètement faux et à côté de la plaque. Mais ces musiques alternatives, pas très connues, qui viennent d’endroits qu’on ne s’imagine pas. J’ai écouté pas mal de rock persan, plus précisément iranien des années 70. En ce moment, j’écoute pas mal de pop sunda, cette espèce de pop indonésienne assez curieuse, un peu kitsch mais qui mêle des instrumentations typiques indonésiennes très riches. Cela donne un mélange assez étrange.
Il y a beaucoup de labels qui ré-éditent aujourd’hui ce genre de musiques. J’écoute également beaucoup de musique africaine.
“Et moi, je m’ouvre au monde, c’est lui qui se referme” (Monde, Stranded Horse)
Tous les continents en fait ?
Oui, je pense que pour être vraiment surpris en musique, il faut aller explorer ailleurs, chercher des choses inattendues, des ré-interprétations, des mauvaises lectures de musique occidentale dans des pays où on ne s’y attend pas. J’aime ces mélanges un peu fous, anachroniques, décalés, hallucinants. Parfois faits volontairement, et parfois pas du tout.
Je dois pouvoir vous envoyer 2-3 morceaux. Même si le problème est que ce sont pour beaucoup des disques que j’ai glanés en tournée, et il faut que je digitalise beaucoup de choses. C’est un peu chronophage, mais cela va me permettre de me replonger dans mes disques, ce que je n’ai pas pu faire depuis longtemps avec la sortie de Luxe.
Tu as toujours chanté ou tu t’y es mis au fil des années ?
Oui, non… J’ai toujours un peu chanté. C’est surtout du parler-susurré. Depuis que j’ai débuté Stranded Horse, j’ai l’impression d’avoir exploré pas mal de choses avec la voix, ça a beaucoup évolué.
Shields, extrait de Humbling Tides (2012)
Tu chantes en français, en anglais… Tu as une préférence ?
Non. Je suis assez anglophone dans la vie de tous les jours, et puis j’ai vécu en Angleterre à plusieurs reprises. J’ai fait une partie de mes études là-bas. L’anglais fait partie de mon quotidien. Les réflexes d’écriture dans une langue ou une autre ne sont pas les mêmes, c’est ce qui est également assez fascinant.
Merci à Talitres d’avoir orchestré cet entretien atypique entre deux cafés, deux temps, et deux zones du monde.
Luxe de Stranded Horse (Talitres) est disponible depuis le 29 janvier 2016
- Monde
- A Faint Light
- Ode To Scabbies
- Refondre les Hémisphères
- My Name Is Carnival
- Sharp Tongues
- A Qui Dois-Tu Montrer Les Dents ?
- Dakar
- Unusual Ways