Interview – Alors que le film Demain affole les compteurs (4,8 sur Allocine, du jamais vu !), nous avons eu la chance de rencontrer Fredrika Stahl, la plus frenchy des artistes suédoises, à laquelle les réalisateurs Mélanie Laurent et Cyril Dion avaient confié l’écriture de la bande originale. Avec les cinéphiles de Cine Qua Non, nous avons parlé de Demain bien sûr, mais aussi de l’exercice tout particulier qu’est la composition de la musique d’un film. Entre autres.
“Je fais tout à l’oreille, au feeling”
Salut Fredrika. Dis nous, avec ta voix aux accents soul-jazz et tes mélodies pop, comment définirais-tu ton style ?
Fredrika Stahl : j’ai commencé par le jazz – même si je l’ai découvert en fait assez tard – alors qu’aujourd’hui, je fais plus des mélodies pop. Pour donner un nom à ce style, on pourrait appeler ça ‘pop alternatif’. J’essaie de ne pas me mettre trop de barrières quand j’écris. Mon type de voix est assez typique suédois, même si je pense que j’y mêle une touche française.
Tu es pianiste, guitariste également, tu composes, tu chantes… Par quoi as-tu débuté la musique ?
Je fais du piano, mais de manière totalement autodidacte. Je fais tout à l’oreille, au feeling. Je crois que j’ai chanté avant de faire du piano. Quand je suis arrivée à Paris, je travaillais avec des musiciens jazz, et c’était à la fois très enrichissant et quelque part enfermant, même si je continue de travailler avec des pianistes et d’autres musiciens jazz quand je me sens limitée et que je ne parviens pas à faire ce que j’entends. Je pense que c’est une des raisons qui fait que je me tourne plus vers la pop aujourd’hui. C’est un style qui me correspond bien. J’aime beaucoup ce mélange pop-jazz.
Ton dernier projet, c’est la bande originale de Demain [au moment de l’interview, le film n’est pas encore sorti au cinéma]. Comment t’es-tu retrouvée à travailler sur ce film ?
J’ai découvert la campagne crowdfunding pour le film sur KissKissBankBank. J’ai envoyé une chanson à l’équipe du film [The World To Come]. Ils commençaient tout juste le montage du film, et apparemment la chanson collait parfaitement aux premières images. Le ton de cette chanson est très différent de celui des autres chansons, très grave, dramatique… Ce n’est pas ce qu’ils recherchaient pour le film dans son ensemble. Mais ils ont néanmoins pris le pari et nous avons travaillé 9 mois sur ce projet !
“La contrainte de l’image supprime le problème de la ‘toile blanche’”
Tu avais déjà travaillé sur des projets de ce type ?
Je n’avais jamais fait de musique de film avant. C’était une super expérience. C’est très différent par rapport à tout ce que j’ai fait avant. J’ai appris à composer à l’image, même s’il y a beaucoup de titres que j’ai écrits seule et qu’ils ont incorporés. Ce qui est amusant, c’est que cela se faisait dans les deux sens : parfois Cyril (Dion) m’envoyait des images en me demandant de travailler sur un son, et parfois je leur en envoyais spontanément.
Justement, comment tu gérais cette contrainte de l’image pour composer ?
C’est plus compliqué, mais finalement cela rend les choses plus simples, car tu n’as pas le problème de la ‘toile blanche‘. Avec des images en face, c’est presque plus simple. Je réfléchis moins, je cherche simplement à ce que le son corresponde aux images et aux souhaits du réalisateur. Il y a moins de place pour la prise de tête. J’ai été finalement beaucoup plus productive que je ne l’ai jamais été.
Est-ce que tu penses que cela t’apporte pour tes projets plus personnels ?
Pour les autres projets oui, mais pour mon projet actuel (un nouvel album), je me rends compte que c’est toujours aussi compliqué [sourires]. J’aurais voulu que ce soit plus simple, mais non.
Du coup, travailler sur d’autres films, ça te plairait ?
J’adorerais oui. Mais c’est vrai que j’ai envie de travailler sur mon album aussi. Je viens de commencer. On s’oublie un petit peu quand on travaille sur un film, ce qui est une bonne chose. En même temps, cela me manque de travailler pour moi, pour faire des concerts ensuite. J’ai du mal à faire deux choses à la fois. Du coup, j’adorerais alterner.
“Je ne voulais pas avoir un texte trop littéral, trop écolo”
Quelles étaient tes relations avec l’équipe du film ? Tu les voyais beaucoup ou tu essayais de garder un certain détachement ?
J’étais souvent invitée en salle de montage pour voir les différentes parties du film en construction. Mais ce qui était le plus important pour moi, c’étaient les coups de fil et discussions que j’avais avec Cyril Dion, le réalisateur, après avoir visionné les images. On parlait du sens du film, des personnes, comment il voyait les choses… Ce sont ces discussions là qui m’ont aidé, notamment pour les chansons. Je ne voulais pas avoir un texte trop littéral, trop ‘écolo‘, pour conserver un message fidèle à celui du film.
Parfois j’envoyais des chansons spontanément, comme je disais, en pensant que je les garderais pour moi s’ils n’en voulaient pas. Mais ils ont tout gardé [rires]. Au contraire, surtout à la fin, c’était plus précis, véritablement à l’image. On a travaillé de toutes les manières. De ce point de vue, c’était fascinant. Je ne suis pas sûre que cela se passe aussi bien pour tous les films, c’était tellement fluide…
Il y a des chansons que tu as composées pour le film que tu comptes jouer sur scène ? Ou encore mettre sur ton prochain album ?
Sur scène oui, carrément. Peut-être sur l’album. Il faudra voir si ça ira avec le reste. On verra bien !
Tu as eu des coups de coeur musicaux récemment ?
Je dirais… Le dernier album de Rover. Et sinon j’étais au concert de Hot Chip la semaine dernière, j’ai adoré, avec une ambiance assez spéciale et électrique [l’entretien a eu lieu le 24 novembre, 9 jours après les attentats de Paris]. Quand ils sont montés sur scène, avec le drapeau français, c’était incroyable. Les gens à côté de moi m’ont offert des bières, ce qui ne m’arrive jamais ! Depuis ce concert-là, je me sens mieux. J’écoute assez peu de musique quand je compose de manière générale.
Un artiste avec lequel tu aimerais particulièrement collaborer ?
Pas spécialement, je suis très ouverte. Ohla, je suis nulle avec ces questions ! C’est comme quand on te demande de raconter une blague, impossible.
“C’est un film qui montre les solutions qui existent déjà. Changer les choses est à portée de main”
Ah non, celle-la on ne l’a pas prévue. On comprend tout à fait, comme pour la question sur les groupes et artistes préférés, on ne saurait pas répondre, on en a trop. Pour parler d’autre chose, le film t’a plu ?
Oui, beaucoup. Je l’ai vu plusieurs fois. La dernière fois, c’était un peu après les attentats, et ça m’a fait beaucoup de bien, car il est très porteur d’espoir. Des documentaires sur l’environnement, il y en a eu des milliers. C’est ce côté espoir qui fait vraiment la différence. On s’identifie vraiment avec les personnes qui accompagnent Cyril et qu’on suit tout au long de ce documentaire. Le constat dramatique – presque ‘traditionnel‘ – est fait au début, et on ne s’attarde pas dessus. Non seulement c’est un film qui donne de l’espoir, mais qui montre aussi que les solutions existent déjà. Elles ont fait leur preuve. On a tout à portée de main, et on peut tous, en s’y mettant, retourner les choses très très vites.
Pas de message moralisateur donc ?
Non effectivement, pas du tout. Ni moralisateur, ni angoissant. On s’identifie sans culpabiliser. C’est une bonne manière d’initier notre changement de manière de vivre. Cela ne sert à rien de vivre dans une cabane dans la forêt, mais changer déjà de petites choses, cela peut aider le monde à aller mieux. J’espère que le fait d’avoir fait une B.O. assez pop va participer à ce que le film touche le grand public.
Cela donne envie de voir le film en tout cas !
Et c’est plus qu’un film, avec un site, un livre en préparation également. Le film est plus un outil qui doit donner envie aux gens de se lancer dans des choses impactantes
Pour terminer, et boucler la boucle de cette interview, qu’est-ce qui t’a donné envie d’être artiste ?
Dans ma famille, on a toujours été comme ça, tous artistes, créatifs. Chacun était tellement dans son ‘truc’. Je n’ai jamais eu de problème quand, à 17 ans, j’ai dit que je voulais faire de la musique. Mes parents m’ont dit ‘courage, vas-y‘. Je ne regrette pas un seul instant.
Merci à Fredrika Stahl et l’agence Ephélide de nous avoir permis de réaliser cette interview